De la fleur au fusil à l’épine du verbe

Texte reçu le 29 janvier 2011

« Les hommes font l’histoire et ne savent même pas l’histoire qu’ils font. »

Karl Marx
Par Jean L. Théagène

Trop d’acteurs, trop d’intervenants sur la scène politique haïtienne sans l’ombre d’un homme d’État encore moins d’hommes à vocation d’homme d’État: Baker, Céant, Beauzile, Martelly, Manigat,etc… du côté des partis politiques; Longchamp, Denis, Opont, Dorsainvil, Chérubin de l’autre. Et comme arbitre: La Minustah et les forces d’occupation qui surveillent le tout, sans aucune nuance d’implication sérieuse. Des observateurs qui observent, on ne sait quoi. Le même chaos se poursuit. Le même fanatisme règle la vie politique. La même anarchie régit l’existence de la nation. La communauté internationale semble s’en moquer, compte tenu de son laisser-aller vis-à-vis de la situation ambiguë qui a prévalu dans les sphères de décision relative aux élections. Ainsi va le monde. Ainsi se déroule une histoire sans fin dans un pays sans norme confirmant par ainsi nos craintes d’une dérive sordide chez les dirigeants indigènes et étrangers du pays pour les cinq prochaines années.

Un centre de vote dans l'après-midi du 28 novembre 2010
Un centre de vote dans l’après-midi du 28 novembre 2010

La petite histoire des élections haïtiennes a attiré les regards de ceux qui prétendent que la « récréation est terminée » après vingt-cinq années de carnaval. Le premier tour du scrutin s’est déroulé dans la confusion des leaders, des votants et autres acteurs et dans des déclarations malencontreuses de crétins sonores, éternels reptiliens et autres batraciens des marécages puants.

Nous avons toujours cru que les élections équivalaient à un acte de souveraineté nationale. Nous avons toujours pensé et comme de fait, il en a toujours été ainsi, qu’il revenait aux Haïtiens eux-mêmes d’en prévoir l’organisation et d’en planifier la réussite, quels que soient les moyens utilisés: artisanaux, folkloriques, enfantins mêmes.

Mais aujourd’hui, en l’an de grâce 2011, Haïti est devenue la risée du monde entier par la faute de collaborateurs empressés qui, par leurs agissements et leur influence, ont démontré à l’univers entier qu’ils gardaient encore la nostalgie de la prise en charge, la vocation de l’esclavage. Ces individus, porteurs d’une tare originelle de « Congos » font dire aux héritiers de ces « Hommes-debout » auteurs de l’apothéose de 1804 qu’aujourd’hui, ils doivent reconnaître leur impuissance et surtout consentir à retourner sous le commandement des fils et petits-fils de colons. Nous ne sommes pas sans ignorer que le temps où tous les pays réglaient eux-mêmes leurs problèmes sans ingérence étrangère, sans interférence quelconque est bien révolu, sed in illo tempore, le monde se portait beaucoup mieux. Par contre, à partir du moment où la découverte du remède-miracle de la démocratie a commencé à faire ses preuves un peu partout, notre Haïti était devenue le laboratoire par excellence pour la mise en pratique des théories fumeuses des fabricants d’idéologie.

Voilà un peu le sens de la situation que connaît actuellement ce pays de plein soleil. Voilà aussi le tableau offert aux regards des observateurs pour compléter ce décor quasi cauchemardesque: d’un côté, des partis à incidence militaro-anarchiste, donc suprêmement épeurants; des formations d’inspiration religieuse dont le « fondamentalisme » sous-jacent finit par exaspérer ceux qui exigent un petit acompte de pain quotidien sur le pain éternel. Ceci pour le petit bétail. D’un autre côté, le RDNP représenté par Mme Manigat, avec à son actif.

Par infantilisme politique, ces prétendants au fauteuil présidentiel ignorent tous que le destin d’Haïti se discute partout à Washington, à Ottawa, au Quai d’Orsay, en Espagne, en Amérique du Sud, sauf en Haïti. Et ce qui fait encore plus mal au cœur de l’Haïtien authentique, du patriote ardent c’est que très peu d’entre eux comprennent ou essaient de comprendre les dessous du complot international contre un pays qu’on dépèce, qu’on maltraite, qu’on méprise, qu’on avilit sous le fallacieux prétexte de voler à son secours. Très peu comprennent la menace véritable qui pèse sur ce sentiment viscéral d’indépendance et de souveraineté qui façonne nos moindres faits et gestes. Comme de fait, Mme Hillary Clinton s’est sentie obligée d’apporter le réconfort de sa présence à la théâtralité politique dans l’entourage des acteurs politiques de la tragi-comédie électorale. Car, le courant de la démocratie débridée imposée aux petites nations sans tradition, sans envergure et sans moralité a toujours provoqué l’hilarité en même temps que la tristesse. Mis en exergue le côté grotesque presque ubuesque de l’acteur principal, le Chef de tas. Mises en berne la tristesse, l’angoisse, la platitude des participants à ces funérailles hors classe qu’on organise pour un pays, pour une nation

Au demeurant, de ce carnaval qui est loin d’être amusant, l’Histoire ne retiendra que les caractéristiques grotesques des singeries importées et surtout le coup de pied de l’âne administré sans remords à l’idole encensé cinq ans durant sur les tréteaux du Palais National. Ainsi il en fut des dictateurs qui, à un certain moment de la durée avaient la cote d’amour des grands dirigeants du monde. Au moment de griffonner ces lignes, Mubarak en fait l’amère expérience…Ainsi il en est des despotes contemporains. Ainsi il en sera des autocrates qui n’ont pas encore compris que les « Maîtres du Monde » n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.

Dans un élan de navrante naïveté, le peuple haïtien devait le 28 Novembre dernier choisir de confier son destin à ceux qui prétendent pouvoir le diriger et qui ignorent tout des incontestables subtilités de la politique contemporaine. Nous n’avons de cesse de parodier Arnold Toynbee qui écrivait: « Une civilisation naît de l’action d’une minorité créatrice au sein d’une société lorsque sont réunis dans l’environnement des facteurs appropriés pour que le phénomène se produise. L’environnement provoque la société. La minorité réagit à cette provocation et trouve des réponses que la société fait siennes ». En d’autres mots, une société sans mémoire est en quelque sorte sans présent et sans avenir. À l’annonce des possibilités de « retour au pays natal » de la Bête de Gévaudan, au moment où les passions sont exacerbées, on retrouve au sein de la société un « désespoir fondamentaliste » qui ne peut qu’enfermer l’histoire dans une perspective de suicide collectif.

Pauvre petit pays dont les entrailles sont aujourd’hui déchiquetées par ses propres enfants! Dans une histoire définitivement malsaine et outrageusement comprimée, on pouvait s’attendre à tous les dérapages éclectiques et à toutes les erreurs qu’on aurait pu mettre au compte de l’ignorance et de la cupidité. Mais on était loin de croire qu’on assisterait à cette foire d’empoigne et à ces positionnements intéressés de ceux qui, pendant un quart de siècle, se sont crus les rédempteurs attitrés du pays de Dessalines et de Pétion. Soit dit en passant, la présence de X ou de Y au Palais National ne pourra changer d’un iota la direction que L’ONU, la Minustah et tous les autres contrevenants de l’actuelle conjoncture, ont déjà imprimée au destin de la patrie meurtrie, souillée et avilie.

Jean L. Théagène