Journée du 7 février: Saura-t-on un jour la vivre avec un sentiment de grande fierté?

© AP Photo/Dieu Nalio Chery
Port-au-Prince, 7 février 2019

Le jeudi 7 février marquait le 33è anniversaire du départ forcé du président Jean-Claude Duvalier et de sa famille, mettant virtuellement fin au duvaliérisme. Un anniversaire qui aurait dû être, sinon célébré, mais vécu avec un sentiment de fierté. Après tout, le duvaliérisme n’a pas été uniquement un ensemble de concepts politico-doctrinaux et nationalistes. Il a été une terrible approche de la gestion des affaires publiques caractérisée par l’élimination systématique des opposants, la corruption et l’établissement d’un règne de terreur sous couvert d’un nationalisme caricatural et de la promotion des masses.

Alors que les élites non-collaboratrices ou neutres assistaient impuissantes à la disparition ou à la mise en taule des leurs, les masses qui auraient dû être les principaux bénéficiaires du régime continuaient à croupir dans la misère, à se faire exploiter et à vivre dans la peur des sbires du régime, sans pouvoir penser à une porte de sortie, puisque la présidence, telle que conçue par François Duvalier et son héritier, Jean-Claude Duvalier, était à vie. C’était donc une dictature à la fois technique représentée à l’extérieur par des calibres intellectuels et, farouchement barbare à l’intérieur avec la présence permanente de la terreur de haut en bas et parfois de bas en haut.

Le peuple retrouva pourtant son courage en automne de l’année 1985 quand les murmures se changèrent en plaintes et les plaintes en mouvements de protestation. Au début timides, ces mouvements se transformèrent en un véritable raz-de-marée avec pour issue, le petit matin du vendredi 7 février 1986.

Se souvenant de cette ténébreuse tranche de notre histoire, le peuple haitien aurait dû donner à cette génération de braves, un SATISFECIT, et leur dire que leur travail, leur sacrifice, le sang de leurs enfants versé aux Gonaïves, n’ont pas été en vain.

Et non!

  1. Parce qu’il se trouve aujourd’hui dans une situation sociale encore plus désastreuse que ce matin du 7 février, il est donc forcé de continuer à crier haut et fort;
  2. Parce que la misère devient chaque jour plus tenaillante, ses instincts de survie le pousse à la révolte;
  3. Parce qu’il assiste chaque jour à la dégradation de son sol, il a voulu dire à ceux et celles qui en sont les principaux responsables qu’il en ont assez;
  4. Parce que son territoire est sous tutelle, il dénonce fortement;
  5. Enfin, parce que ses élus, surtout ceux et celles de ces dernières années, institutionnalisent éhontément la corruption, il les pointe du doigt.

Le 7 février n’est plus cette date symbolique qui l’aide à se rappeler les erreurs du passé pour s’efforcer à ne pas les répéter. Il devient celle qui l’oblige à constater amèrement que rien n’avait changé. Les visages des hommes et des femmes au pouvoir ont peut-être changé, mais pas pas le système politique avec ses affres.

Avant le 7 février 1986, 5% des familles s’enrichissaient énormément pendant que les trois quarts de la population vivaient au-dessous du seuil de la pauvreté. 20% se considéraient de la classe moyenne montante. Et la monnaie nationale s’échangeait au taux de 5 gourdes pour un dollar américain.

Aujourd’hui, 10% des familles s’enrichissent démesurément, la classe moyenne se trouve en voie de disparition et plus de trois quarts de la population pataugent dans la misère. Les jeunes quant à eux optent pour la délinquance ou l’aventure sans garantie de succès au-delà de la frontière ou outre-mer. Et la gourde s’échange au taux de près de 80 pour un dollar américain.

C’est cette situation qui a transformé cette date chère en un jour de manifestations, de grèves. Par ce, le peuple garde peut-être l’espoir de faire mieux cette fois-ci, en l’absence évidemment des contingences venant de l’extérieur ou de ceux qui opèrent dans les bas-fonds.

Saura-t-on un jour faire du 7 février une journée de positifs bilans et la vivre avec un sentiment de grande fierté?

J.A.