…Et le peuple paie et payera les pots cassés

Photo AP / D. Nalio CheryChaque fois que des organismes ou institutions internationaux interviennent chez nous pour nous faire des exigences qui, d’après leurs représentants, nous aideront à assainir nos finances ou réparer notre structure politique, la pagaille s’ensuit. Et le peuple paie les pots cassés.

Pour illustrer cette observation, revenons aux interventions en Haiti de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (FMI) pendant les trois dernières décades.

En 1986, après le départ du président Jean-Claude Duvalier, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) s’insurgèrent contre le taux de change fixe de notre gourde sur le marché formel et informel. Ses représentants conseillèrent au ministre des finances d’alors, Leslie Delatour, de libérer la monnaie nationale en la laissant fluctuer librement et sans aucune intervention de l’État. Ainsi débuta sa dégringolade. Elle passa, en moins d’un an, de 5 gourdes pour un dollar à 7,50 gourdes pour l’unité du billet américain. En 1989, il en fallait alors 12 gourdes. Aujourd’hui, Il faut en moyenne 66.00 gourdes pour obtenir en échange un dollar américain.

Pourtant, malgré la rapide dégringolade de la monnaie nationale, le salaire minimum resta inchangé pendant plusieurs années ($15 gourdes par jour), ce qui, au fil du temps, diminua considérablement le pouvoir d’achat du travailleur Haïtien, si de tel pouvoir il en avait auparavant.

Les institutions financières susmentionnées voulaient alors nous faire croire que la fluctuation de la monnaie nationale augmenterait l’exportation de nos denrées agricoles. Toutefois, à cette même époque, les élites économiques d’Haïti commencèrent à importer de façon massive le riz et autres produits agricoles cultivés en Haïti.

Ces importateurs et ceux qui les soutenaient feignaient d’ignorer que les fermiers américains étaient subventionnés par leur gouvernement, alors que les paysans Haïtiens et les riziculteurs de l’Artibonite et autres régions du pays se démenaient tout seul sans aucune aide de l’État. Il est vrai qu’au début, le prix du riz importé faisaient les affaires du consommateur, mais quand vint la hausse du prix des céréales sur le marché international ce dernier, dont le salaire était stagnant, se retrouva aux abois. Ainsi s’expliquent en partie les émeutes de la faim du mois d’avril 2008 qui ont emporté le gouvernement du premier ministre Jacques Edouard Alexis.

La libération du taux de change n’entraîna pas seulement le déclin de la production du riz, elle affecta également les produits avicoles avec la saturation du marché de ces produits venant des États-Unis et de la République Dominicaine. La faible industrie avicole avec l’élevage des oiseaux domestiques dans des cours à l’air libre et non soumis à une diète faite d’hormones se désintégra. La compétition fut inégale et des familles qui tiraient leur subsistance de cet élevage se retrouvèrent dépourvues de ces maigres mais nécessaires ressources.

Dans les années 90, la Banque Mondiale, au nom des bailleurs de fonds de la communauté internationale, exigea la privatisation des institutions lucratives de l’État dont la Téléco, l’Électricité d’Haïti, les deux banques d’État, l’aéroport et le port de Port-au-Prince pour, selon elle, les rendre plus rentables. Ces idées de privatisation, étaient encouragées par l’élite qui y voyaient une opportunité économique pour leur clan. Leurs représentants, essayaient, à travers des publications (1), de faire avaler la pilule. Les démarches de privatisations n’ayant pas abouti comme elle l’espérait, on procéda alors au sabotage systématique des institutions ciblées, et avec l’aide de l’OEA en 2001, du gouvernement qui ne se montrait pas trop enthousiaste aux demandes des institutions financières.

Des véhicules carbonisés et des marchandises éparpillées sur l’aire de stationnement d’un des supermarchés Delimart
Photo AP / D. Nalio Chery

Au début de cette année la Banque Mondiale et le FMI sont revenus à la charge(2) avec un programme de contrôle de la politique fiscale et de nouvelles exigences dont l’élimination de la subvention des produits pétroliers par l’État haïtien. Le gouvernement de Moise/Lafontant se plia et décida d’augmenter le prix des carburants au-delà de l’acceptable(3).

Le résultat : Trois jours de protestations la première fin de semaine de juillet avec, malheureusement, des casses, des biens détruits et la perte de vies humaines.

Qui auraient été les principales victimes de la flambée des prix annoncée le vendredi 6 juillet par le premier ministre Jack Lafontant? Le petit peuple.

Et qui payerait, dans un future pas lointain le manque de vision des membres du gouvernement et les conséquences des casses? Encore le petit peuple.

  • Il se recrute parmi ceux et celles qui se rendent chaque jour au Parc industriel sans pouvoir s’offrir régulièrement les produits de première nécessité ou satisfaire leur faim;
  • Ils sont ces jeunes embourbés dans le marasme du chômage et qui, fatigués de rêver d’autres horizons, se lancent dans l’aventure migratoire;
  • Ce sont ces paysans qui affrontent une compétition inégale avec les grands producteurs étrangers et qui, découragés, viennent augmenter la population des bidonvilles et des quartiers populaires;
  • Ce sont les salariés de Delimart mis à pied(4).

On peut toujours critiquer ou blâmer le FMI, la Banque Mondiale et les autres institutions financières internationales dont les exigences ont toujours manifesté, non seulement en Haïti mais aussi dans tous les pays où ils s’immiscent, une criante insensibilité aux sorts des plus vulnérables, mais on ne peut pardonner un gouvernement, le nôtre. qui s’est laissé prendre à leurs pièges quand les méfaits de leur exigences pendant ces trente dernières années sont encore patents dans tous les coins du pays, d’où la révolte spontanée et immédiate du 6 juillet 2018.

J.A.

  1. Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques. Possibilités économiques et privatisation. Port-au-Prince : Éditions La Ruche, 1996. BASTIEN , Yves Romain. « La privatisation du parapublic en Haïti” Rencontre n° 32 – 33 / Septembre 2016; pp. 78-86.
  2. Au début de l’année, Haïti signa un accord de six mois avec le FMI, lequel accord lui donnerait accès à un prêt de 96 millions de dollars à un taux d’intérêt très réduit et à des subventions de la Banque interaméricaine de développement, de la Banque mondiale et de l’Union européenne.
  3. Si les mesures n’avaient pas été annulées sous la pression de la populations, les Haïtiens seraient obligés de payer, le lendemain même, 309.00 gourdes pour le gallon de la gazoline (une hausse de 38%), 264.00 gourdes pour le gasoil (une hausse de 47%) et 262.00 gourdes pour le kérosène (une augmentation de 51%).
  4. Direction des Ressources humaines de Delimart. Lettre circulaire aux 673 employés de la Delimart S.A. Port-au-Prince : 8 juillet 2018