Les silences de l’histoire contemporaine

Texte reçu le 15 décembre 2013

Par le Dr Jean L. Théagène

bishops_htS’il est du devoir d’une presse responsable de renseigner et d’informer , l’esprit avisé conçoit que cet enseignement suppose l’autorité de l’expérience et l’affirmation d’un savoir auquel nul ne peut s’y opposer.

Parce que l’Église catholique apostolique romaine, n’est pas exclusivement le fait du religieux et que le concours du laïque lui a toujours été précieux, à la manière de Blaise Pascal, dans Les Provinciales, donnant une leçon aux Jésuites en 1656, je me sens le devoir impérieux et pressant de donner la réplique aux contempteurs du Clergé indigène qui, affublés d’un anti-duvaliérisme rétrograde, ne s’embarrassent d’aucun scrupule pour cracher sur tout ce qui est beau, grand, et noble.

Bien avant le Concordat de 1860, les leaders de la Révolution de Praslin préconisaient l’urgence d’un clergé national. Si l’on se réfère à la correspondance du Père Eugène Tisserand, jusqu’au lendemain du Concordat, un secteur de l’opinion publique en faisait son cheval de bataille et même le Pouvoir haïtien, à des époques différentes, revenait sur la question du recrutement des membres du clergé indigène. C’était l’époque où la notion de patrie avait encore un sens pour l’Haïtien.

Le 26 Mai 1866, Mgr Testard du Cosquer, s’adressant aux Abbés haïtiens Joseph Bauger, Sainté Louis-Charles et Sainval Roy, prophétisa: ”Pour vous, mes chers enfants, l’avenir religieux de ce pays est en vos mains. Vous êtes les premières pierres de ce clergé indigène dont nous posons en ce moment les assises”. Aussi, à la mort de Monseigneur Hillion, les journalistes haïtiens se relayaient-ils un mot d’ordre : ”PLUS D’ARCHEVÊQUE FRANÇAIS”. Dès lors, commençèrent les démarches qui aboutirent à la nomination du Premier Chanoine séculier Haïtien(1), né à Jérémie le 12 Février 1840, Mgr Joseph Bauger, Il mourut au bout de cinquante ans de carrière sacerdotale. Aussi, un monument fut-il érigé sur la Place Ste-Anne à sa gloire, à sa foi dans les vertus morales, à son patriotisme, à son dédain des vanités terrestres. Ce bronze dressé en face de la paroisse qu’il a tant servie et aimée reste un vibrant plaidoyer pour un clergé national.

Et, dans cette lutte de valorisation de nos prélats indigènes, vint 1960, où de partout s’élevaient des voix réclamant la révocation du Concordat, telles celles de Gérard Gilbert Gayot, Carl Dominique et feu Alexis Leclerc. Le Président , au lieu de suivre le courant des jeunes a préféré jouer de diplomatie en s’inspirant de la pensée de Louis Joseph Janvier: “Diplomatie, n’est pas tricherie, trahison. Le jeu diplomatique obéit à des règles: le respect de la parole donnée, le sens de l’honneur. Le bon diplomate doit saisir le jeu des nuances et faire de l’habileté sa boussole. ”

Dans l’esprit du problème des classes à travers l’histoire d’Haïti”, nous découvrons la philosophie de nature spiraliste du Dr F. Duvalier qui luttait pour l’avènement d’un Episcopat purement indigène plus apte à conduire le peuple de Dieu sur le chemin du Ciel. De ce fait, il entendait éliminer aussi du catholicisme haïtien les stigmates de la colonisation , usant de plus de condescendance envers les déshérités du sort. Pour marquer son attachement à l’Eglise et ménager ses rapports avec le Saint Siège, en dépit de nombreuses difficultés confrontées avec des membres du Clergé Catholique, son gouvernement a toujours évité de remettre en question le Concordat plus que centenaire.

On n’oubliera pas non plus que dès l’avènement du Dr Duvalier au pouvoir, l’Eglise Catholique d’Haïti se trouvait mêlée à une vaste conspiration contre son gouvernement. Elle s’est même permise de ne pas chanter à la fin des Te Deum le ” Domine salvam fac rem publicam cum Preside nostro Francisco”. Quiconque connait le Dr Duvalier savait pertinemment que cela ne pourrait prendre de l’eau avec lui : Arrêté d’expulsion de Monseigneur Poirier, Mgr. Augustin, Mgr. Paul Robert et plusieurs autres prêtres. Le spirituel ne doit en aucun cas se mêler du temporel.

La patrie, étant une création continue, pour combler la vacance de ces religieux, Duvalier, tantôt fit appel à la compagnie de Jésus, tantôt à la Congrégation des Clercs du Saint Viateur en vue d’assurer l’avenir des générations appelées à garantir la relève. Les pourparlers ont été interrompus avec la mort du Pape Jean XXlll sans pour autant enterrer ses rêves d’un clergé indigène. Une importante délégation haïtienne a assisté aux obsèques de Jean XXlll et à l’installation de sa Sainteté le Pape Paul Vl ensuite aux cérémonies de clôture du Concile Œcuménique Vatican II.

Paul Claudel disait: Il ne suffit pas de connaître le passé, il faut le comprendre. Le Pape Paul VI, dans son allocution de clôture du Concile a laissé tomber de ses lèvres cette phrase que le stratège Duvalier va utiliser à fond: ” Je n’ai jamais peut-être comme en cette occasion éprouvé le besoin de connaître, d’approcher, de comprendre, de pénétrer, de servir, d’évangéliser la société qui m’entoure, de la saisir, de la poursuivre dans ses rapides et continuelles transformations.” Joignant la parole aux actes, le Vatican nomme 4 Evêques Cubains après que leur gouvernement eut démontré leur hostilité à l’Eglise et se fut réclamé publiquement du communisme.

Le Président Duvalier a vite estimé que la venue d’un clergé indigène était chose acquise. Au bout de neuf ans de luttes, l’Eglise commençait à éprouver un sentiment de lassitude. De nombreux prêtres étaient expulsés, laissant leurs paroisses orphelines. Du 9 au 30 Décembre 1965, en vue d’arriver à une amélioration de la situation de l’Eglise Catholique haïtienne, le Saint Siège et la République d’Haïti ont eu par l’intermédiaire de leurs Représentants respectifs: S.E. Mgr Antonio Samoré, S.E. Mgr Dante Pasquinelli, le Cardinal Circognani, Son Excellence, Dr Adrien Raymond. Le chef du protocole Mr René Hippolyte, M. Fritz Jean-Baptiste, des conversations à l’effet d’étudier les questions pendantes et sont arrivés à conclure un accord.

Le gouvernement haïtien fait le retrait de l’arrêté d’expulsion de Mgr Poirier et sa pension liquidée à cinq cents gourdes ainsi que Mgr Paul Robert. Une lourde concession pour un Chef qui a toujours donné les preuves de sa volonté d’indépendance et de sa haute conception de la souveraineté nationale . Comme dans toute négociation le principe du” give and take” prévaut, le Président acquiesça et au niveau du spirituel réedita 1804 en nommant au regard de l’article 4 du Concordat le R. P. François Ligondé Archevêque de Port-au-Prince, le Chanoine Claudius Agénor, Évêque Résidentiel des Cayes, R. P. Emmanuel Constant, Evêque Résidentiel des Gonaïves, Mgr. Rémy Augustin, Coadjuteur au siège de Port-de-Paix, le R.P. Jean Baptiste Decoste Evêque Auxiliaire de l’Archevêque de Port-au-Prince et Mgr Maurice Choquet Auxiliaire de l’Évêque du Cap-Haïtien. Et, le 22 Août 1966 a été choisi éventuellement pour la publication des nominations pontificales dans la section officielle de l’Observatore Romano et celles des décrets de nominations présidentielles au Moniteur, Journal Officiel de la République d’Haïti. Peu de temps après, le R,P. Carl Edouard Peters devait être nommé Évêque Auxiliaire des Cayes, puis Évêque Résidentiel de Jérémie.

A la lumière de ces faits, n’est-on pas en droit de se poser la question à savoir: Comment se fonde et subsiste l’unité publique des esprits, cette unité libre, tel un arbre dont chaque feuille, chaque branche, chaque tronc peut à tout instant se détacher. Hélas, des années après, le Président Jean Claude Duvalier, pour des raisons inavouées, à l’occasion d’une courte visite du Pape Jean –Paul II en Haïti, au grand étonnement du peuple chrétien a renoncé aux privilèges que confère à l’Etat le Concordat de 1860(2). Ce ne sont pas seulement des âmes qui échappent à l’ascendant de la doctrine catholique, elle perd aussi des nations. L’Angleterre était catholique, elle ne l’est plus, le Danemark et la Suède étaient catholiques ils ne le sont plus, l’Orient était catholique, il ne l’est plus. Alors, est-ce la faute à Duvalier, si depuis l’avènement du Clergé Indigène, si peu nationaliste, notre Eglise catholique apostolique romaine va s’affaiblissant de jour en jour? Pour ma part, je crois que la véritable Eglise du Christ, d’ailleurs trop conservatrice, est morte depuis Jean XXIII et Paul VI. Je comprends mieux mon Eglise qui démocratise les sacrements,prône l’action participative des fidèles aux activités ecclésiastiques, chasse le triomphalisme du temple, tend la main aux frères séparés, aide le monde à sortir du sous-développement. Ma foi, ce don gratuit, cet héritage qui se passe du bénéfice d’inventaire, ne s’explique pas. Je souhaite ardemment que mon Eglise se rapproche davantage des hommes et qu’elle comprenne surtout que les dogmes sont faits pour ne pas être dogmatisés!

“Quelle est la doctrine qui puisse se produire sans le nom souverain de la vérité? Quel est le philosophe qui, du haut de sa chaire, ne commande pas? Quel est le capitaine à la tête d’un régiment d’idées qui ne se plante fièrement au-devant d’un bataillon, et ne lui ordonne le file à droite, le file à gauche?”

S’il est vrai que tout enseignement est un ordre donné au nom de la vérité, il a contre lui le charme de l’erreur, car, quelque soit l’abondance de la lumière, il reste assez de nuages pour l’obscurcir; quelle que soit l’autorité, tous en ont une; tous ont une liberté, maîtresse de la vérité, maîtresse de la lumière, maîtresse de l’autorité. Pour la vérité et pour l’histoire, qu’Hommage soit rendu au Président François Duvalier dont la tenacité a abouti à la formation du Clergé Indigène d’Haïti, base de la décision du Pape François de nommer le Premier Cardinal Haïtien!

A vous de juger!

Dr Jean L. Théagène
Miami, le 17 Janvier 2014

  1. Titre honorifique donné initialement à des religieux ou des membres du clergé diocésain . A ne pas confondre avec un évêque. « Monsieur le chanoine » est le titre que l’on donne aux prêtres qui reçcoivent cet honneur, mais en Haiti, on les appelle Monseigneur, ce qui parfois confond les laics peu versés.
  2. Voir le texte du Protocole d’Accord Entre le Saint Siége et Haïti (1984)