Que Dieu nous garde !

Texte reçu le 27 juillet 2012

Dr Jean L. Théagène

« Il y a celui qui a la charge de signaler au Chef ses erreurs. Il y a aussi celui qui a la prudence de confier ce soin aux événements. Le premier pense au pays, le second à soi. »

Léon Laleau

Décidément, la raison a perdu sa prééminence sur l’instinct et le pays que nous aimons par-dessus tout s’est transformé en un vaste jardin d’enfants, pourquoi pas une société de gamins immatures. Nos dirigeants, privés de la fraîcheur de l’imagination nous jettent à la figure ce qui a toujours été dans leurs cordes. A un peuple en proie à un sempiternel chômage lié à une tragique détresse alimentaire et médicale, au moment où l’on parle de l’imminence de fortes secousses sismiques, les rois du trompe-l’œil et de l’Entertainment prescrivent des jours gras en guise de thérapie démocratique à des gouvernés, à la vie monotone, vide de sens et même dépourvue d’importance.

A la vérité, nous avons toujours choisi d’utiliser l’encre de l’humilité que souvent tout écrivain est prompt à exiger des grands en oubliant de se l’imposer à soi-même, mais face à une telle situation, il nous est un devoir impérieux de faire savoir aux séides de l’obscurantisme le plus borné que ces contre-feux ne trompent personne. D’ailleurs, ce n’aura été que du déjà vu avec F. Duvalier et Luc-Albert Foucard à une époque pas trop lointaine où le peuple se laissait entraîner dans le train-train pour oublier l’essentiel. Certes, dans la Rome antique , il y avait des jeux à côté du pain pour le peuple : « { Panem et circenses » !

Gundoll qui, en 1949, pensait que les ressortissants des peuples Juifs, Grecs et Allemands avaient individuellement connu le fond de l’abîme, ne pouvait pas s’imaginer qu’aux portes du XXIème siècle, Haïti connaîtrait un sort identique. Alors, force nous est de griffonner ces lignes, parce que s’agissant de notre pays, la discrétion ne sera de mise que lorsqu’il n’y aura rien à dire, et le patriotisme chez nous impose le courage de nos propos. Ainsi, nous nous trouverons toujours en opposition à ces bacchanales qui puent l’immoralité et l’indécence dans un pays qui vit d’assistanat. Dans la situation actuelle d’Haïti, avec soixante-cinq millions de gourdes, nous estimons qu’on pourrait faire une œuvre durable et sans doute magnifique au bénéfice du peuple

Dire les choses par leur nom reste pour nous la seule attitude honorable capable de calmer toute affreuse démangeaison au niveau du cortex, parce que les « mots non-dits peuvent macérer, pourrir, tourner comme du mauvais lait, noircir comme du mauvais sang. Aussi, saisissant cette occasion, dussions-nous laisser notre stylo crisser sur cette page blanche pour dire à l’ami d’hier, président aujourd’hui, l’inépuisable bouillonnement qui nous brûle de l’intérieur.

Michel Joseph Martelly, à force de vouloir être le président de tout et de partout a fini selon nous par ne plus habiter la fonction en faisant son job et celui des autres, des fois jusqu’à l’excès. Il laisse l’impression d’un homme insaisissable, avec un cerveau qui ne connait pas le repos, un ego rare et une volonté que rien ne peut désarmer. Chez lui, la passion est toujours là, rebelle au protocole, aux usages et surtout à cette tendance qu’ont bien des dirigeants à se réfugier dans la stratosphère. L’opposition à son gouvernement, au niveau du Parlement, ne rate pas une occasion pour lui reprocher avec acidité ses dérives autoritaires placées sous le signe de la défiance réciproque. Néanmoins, ceux qui le pratiquent sont unanimes à reconnaître que sous son crâne chauve, les idées fusent et s’entrechoquent en permanence. Idées novatrices souvent, tantôt pertinentes, tantôt utiles, mais parfois futiles comme cette fameuse distribution d’autos et de motos du mois de Décembre et ce Carnaval des fleurs à un mois d’une rentrée scolaire hypothétique d’un pays assisté.

Sans vouloir conjecturer sur la situation haïtienne qui nous porte à nous demander comment on supporte de vivre dans un pareil environnement où chaque jour apporte de nouvelles frayeurs et où les informations à la radio se révèlent terrifiantes et totalement opaques, venons-en aux faits. Au pays, la majorité nationale a considérablement faim. L’agriculture n’a pas prospéré et l’autosuffisance alimentaire n’est pas pour demain. Les rares denrées exportables ne garantissent pas notre assiette budgétaire. Nous exportons peu et importons tout. Le chômage sévit partout et le peuple vit au jour le jour dans l’improvisation la plus totale. Un seul mot d’ordre règne : tout changer pour que rien ne change. Seule la foi du charbonnier aide la population à dormir à poings fermés pour des rêves de « borlette ». Être gentil, de nos jours, c’est trop conventionnel. Avec l’industrie du Kidnapping, principale ressource de la capitale, le travail est devenu un leurre magistral. Et les monstres, les criminels, les violeurs sadiques se retrouvent aussi bien chez l’homme de larue que parmi les membres les plus respectés de la société dite respectable. Que voulez-vous ? La jungle se trouve souvent là où on s’y attend le moins.

Rares sont les barons politiques et les gros industriels détenteurs du pouvoir économique à ne pas être indifférents à la puissance de feu de la criminalité organisée dans une capitale de saleté, de misère, de violence au cœur d’une cité en ruines, le long des rues tristes, des terrains vagues et des murs de béton ridés comme des visages sans avenir. Port-au-Prince, cité-mouroir où les gamins ne jouent plus et les passants ne lèvent plus la tête, ville aux nerfs poussés à bout pardes années d’insomnie de deuils, de terreurs. De ses ruelles poussiéreuses et empuanties où les bidonvilles se développent avec une vitesse vertigineuse autour des quartiers luxueux, les kidnappeurs, au grand dam des policiers et d’une certaine force de maintien de la paix s’en servent comme lieu d’internement des kidnappés. Rassurez-vous, les malfrats disposent de protection à la mesure de leur fortune car, il n’y a pas d’affaires sans politique et pas de politique sans affaires.

Là où le bât blesse davantage, la jeunesse livrée à elle-même n’est plus fascinée par le prestige des grands hommes, si peu nombreux soient-ils, qui pourraient leur servir de modèle par leur honnêteté et leur hauteur de vue. La destruction systématique de toute échelle de valeur, lemépris absolu de la notion de travail dans un pays où les jeunes forment l’immense majorité reste par définition une vérité scandaleuse. Ne sont-ils pas, ces jeunes, victimes d’un système injuste et corrompu ? Ne sont-ils pas aussi des cobayes sur lesquels les partis politiques font leurs expériences dans leurs revendications saugrenues ? Ces millions de chômeurs non recensés en partie de jeunes dés œuvrés ne sont pas prêts à accepter n’importe quel travail pour vivre dignement pendant que l’agriculture a besoin de bras, le monde de la construction, les petits artisans sont toujours à la recherche de jeunes apprentis introuvables ou en perpétuelles dérobades. Au fond, à quoi bon travailler quand on peut vivre en parasite, quand vendre de la drogue rapporte en un jour le salaire mensuel d’un sénateur. Tel est l’état de la société qui gouverne l’État dont a hérité le président Martelly.

Alors, n’est-il pas temps que le pays retrouve la clé de l’harmonie politique et sociale dans la convivialité sous forme de consensus omniprésent ? N’est-il pas temps d’afficher les grandes obsessions communes surtout celles de la force à reconquérir contre la faiblesse instaurée en valeur par une société uniformisant par le bas –celle de la pureté à préserver ou à retrouver contre la corruption infiltrée par des agents toxiques extérieurs ? La grande erreur des présidents est de croire aveuglément les rapports des flagorneurs surpayés et de certains collaborateurs intéressés quileur déforment la réalité en leur disant ce qu’ils aimeraient entendre. Qu’ils sont malheureux ceux qui n’établissent pas la distinction entre les rêves qu’on leur vend et la réalité qui leur échappe du haut de leur piédestal installé dans une tour d’ivoire !

Miami, le 26 Juillet 2012
Dr Jean L. Théagène