Reprenons nos sens!

Combat de vertières, peinture de Patrick NozeOrganiser une manifestation politique un 18 novembre est non seulement une mauvaise décision, mais frôle l’antipatriotisme, considérant la valeur hautement symbolique et historique de cette date. Ce jour-là, il y a exactement 210 ans, nos ancêtres, noirs et mulâtres avaient fini par s’imposer militairement sur les troupes napoléoniennes débarquées 22 mois plus tôt à Saint Domingue pour d’abord nous diviser et ainsi mieux suivre le plan qui consistait à nous subjuguer et réimposer l’esclavage dans toute sa rigueur.

Au lieu de se manifester dans les rues, nonobstant la validité des raisons qui nous auraient poussé à le faire, nous pourrions plutôt dédier ce jour à des réflexions au niveau national et par-delà nos tendances politiques, intérêts personnels ou claniques.

Ces réflexions porteraient, par exemple, sur notre parcours historique de cette date à nos jours, sur les opportunités ratées, les irrémédiables erreurs politiques qui ont jalonné notre histoire et qui nous ont valu des humiliations, deux occupations et la présence aujourd’hui sur notre sol d’une force multinationale contaminante avec l’introduction par un contingent de cette force du choléra. Cette journée nous aiderait également à relever, pour l’éducation de notre jeunesse aux abois, les conséquences néfastes des actes apatrides de quelques-uns de nos concitoyens ce, dès le lendemain de la proclamation de notre Indépendance, et qui nous ont rendu tant vulnérables face à la coalition des nations qui, prenant acte de la journée du 1er janvier 1804, ont d’abord juré notre perte en nous imposant un embargo et ont ensuite travaillé, usant des instruments de la diplomatie, pour nous saper et continuer ainsi à démontrer leurs hypothèses suintant un racisme fétide.

Combien de représentants de ces nations observeront avec un sourire narquois les manifestations de ce lundi 18 novembre. Ils se compteront probablement parmi ceux qui refusent d’admettre six ans après l’élection du président Obama, qu’un noir puisse occuper la Maison blanche et s’ingénient encore aujourd’hui à faire de son gouvernement une suite d’échecs.

On les trouvera également par ceux qui aujourd’hui, dans un pays qui s’enorgueillit de faire de l’Égalité non plus une notion abstraite, mais une réalité, n’arrivent pas à contrôler le réflexe de leur racisme latent. A défaut d’exploiter physiquement et sans vergogne d’autres êtres humains, il continuent à les ravaler au rang de sous-humains. Ils sont montés récemment au créneau à travers une attaque contre le ministre française de la justice, Mme Christiane Taubira.

Ils sont nombreux parmi nos voisins de l’Est dont le chef de la hiérarchie de l’Église catholique qui appuient sans réserve la décision de la Cour constitutionnelle de ce pays de stigmatiser des milliers d’Haïtiens nés sur leur sol.

En prenant la décision de se lancer dans les rues un 18 novembre avec les possibilités de dérapages qui pourraient endeuiller des familles, ils sont en train de tendre une perche à ces racistes en leur fournissant des éléments qui les aideraient à enduire leurs sophismes et les présenter comme des preuves irréfutables de leurs élucubrations.

Pour ce, nous invitons les organisateurs des manifestations du lundi 18 novembre à reprendre leur sens, au nom de la patrie commune et au nom de ces ancêtres qui ont versé leur sang pour nous la léguer.

J.A.