Le réquisitoire de Marie-Hélène Cauvin : un face-à-face pour ne pas se retrouver dos-à-dos

Texte réçu le 30 avril 2009

Par Robenson d’Haiti

Respect pour le troisième accrochage des Ateliers Jérôme qui s’étendra jusqu’au 15 mai 2009. Et, Honneur à Marie-Hélène Cauvin, cette passionnée du papier. Du papier et non du pas pillé, camarades. Ce pas, on s’en souvient encore, qui a abouti à 1804 et à des milliers de promesses. Mais, grand pas pillé au fil du temps et pas à pas!

Face à ce pillage du pas historique gigantesque, chaque papier de l’artiste s’ouvre en soi-même un espace dialogique où la parole se refuse avec hardiesse la charge du silence. Et, fait du bruit pour engager un face-à-face sans lequel on risque de se retrouver, vous et moi, dos-à-dos. De ce point de vue, il importe de noter que parmi les vingt-cinq dessins accrochés, quatorze s’envisagent comme une enquête sur « l’Autre » dans ses habitudes et dans son expérience étrange de la vie.

Entreprise louable en ce qu’elle fait du papier de l’artiste le lieu où peuvent se négocier nos regards portés avec étonnement sur ce qui constitue notre quotidien.

Cette urgence se lit bien dans le texte définissant la démarche artistique de Marie Hélène Cauvin: « Mes thèmes se réfèrent au concept d’identité. D’une part, mon identité d’immigrante, quelqu’un qui vit en dehors de sa terre natale et qui devient étrangère à cette terre. D’un autre coté, l’identité du peuple haïtien dont je fais partie comme étant le produit d’un passé de violence, d’esclavage, d’une longue histoire d’injustice, de pauvreté et d’instabilité politique… » Incontestablement, le peuple haïtien est dans ses papiers, comme on dit.

J’ai franchi…Camarades, écoutez bien. J’ai franchi la porte vitrée des Ateliers Jean-René Jérôme. À ma droite, un grand tableau, Sorciers aux mains rouges, me force le regard. Deux sorciers se regardent, exhibant des mains tout rouges. Rouges? S’agirait-il d’une paire de gant ? Le sang coagulé, caillé peut-il finir par ganter des mains trop souvent plongées dans le sang d’autrui ? Un coup d’œil circulaire me rend vite à l’évidence que la plupart des tableaux sont tachés de rouge. Cette remarque vaut pour ce qu’elle nous permettra de déchiffrer, un jour, du comportement bizarre de cette couleur sur les papiers de l’artiste.

Marie-Hélène Cauvin poursuit son réquisitoire.

À ma gauche, une lithographie, Dialogue, un homme cause avec…euh, son semblable qui, somme toute, a l’air d’un serpent. Je n’ai pas pu chercher à savoir ligne à ligne ce qu’ils se disaient dans le giclement du venin.

Dialogue
Lithographie de Marie Helène Cauvin
En exposition aux Ateliers Jérôme
Jusqu’au 15 mai.

L’air recueilli, mon regard se tourne vers Femme Jardin. Un merveilleux jardin qui s’étend du bas-ventre aux orteils. Sont-ce là les portions cultivées et cultivables du corps féminin ?

Je tourne en rond dans la salle et fais face à un ensemble de dessins (pastels, encres, collages, gouaches, aquarelles). C’est là que se joue tout le réquisitoire de l’artiste. C’est là que s’engage le face-à-face. Treize portraits comme pour le Dernier repas. Des portraits anonymes qui font de chaque regardeur le portraituré. Face au tableau étiqueté Portrait 6, je suis saisi de frissons et glacé jusqu’à la moelle des os/eaux sur lesquel(le)s tanguent deux maccabées. Et la vie fait son petit bonhomme de chemin dans deux petits bateaux de papier courant à tombeau ouvert sur les larmes de la mort. En bas, sur un autre papier, un homme appuie la tête contre son propre cadavre. J’ai continué à lire avec frénésie les portraits. Au centre, devine, deux hommes s’embrassent. L’œil coquin du baiseur de gauche semble m’interdire tout interdit.

Le sourire aux lèvres, j’ai quitté les Ateliers Jean-René Jérôme, poursuivi par l’imagination de l’artiste Cauvin et par sa parole trempée dans l’eau-forte de nos larmes.

Robenson D’HAITI