Des élections déconcertantes

Nous sommes en mai 1946. Le pays est alors dirigé par une junte militaire de trois membres(1) qui avait pris les rênes du pouvoir quelques quatre mois plus tôt à la suite du départ d’Elie Lescot(2). Ce dernier fut forcé de démissionner sous la pression de mouvements de masse et des grèves d’étudiants contrôlés par des intellectuels noirs qui dénonçaient alors l’ostracisme pratiqué par les gouvernements à dominance mulâtre(3) à leur endroit.

Paul Eugene Magloire durant sa presidence
Magloire Paul Eugène
Membre du Comité Exécutif Militaire de 1946
Président d’Haiti
10 décembre 1950 – 6 décembre 1956
Collection: Truman Library Côte d’entrée: 58-564 Portant cette dédicace: A son Excellence Harry S. Truman, en toute cordialité. Ce 19 janvier 1952
[signature]
La junte, appelée Comité Exécutif Militaire, avait pour mission de préparer et de superviser les élections législatives. Le nouveau parlement devait par la suite travailler sur une nouvelle constitution et choisir un nouveau président(4). Aux élections législatives devant se tenir le dimanche 12 mai, un nouveau parti politique organisé à l’échelle nationale, le Mouvement Ouvrier Paysan (MOP), se prépare à entrer en lice avec des candidats très connus aux sénatoriales et à la députation(5).

Le MOP, création d’un jeune professeur de mathématiques, Daniel Fignolé, d’un médecin de campagne, François Duvalier et d’un économiste, Clovis Désinor ne tarda pas à susciter l’enthousiasme au-delà du cercle des politiciens traditionnels.Fignolé, alors secrétaire général et ses amis commencèrent donc par poser les bases solides du parti en élaborant un programme qui tenait compte des aspirations des masses ouvrières et paysannes, d’où la puissance et la popularité du parti qui comptait parmi ses membres une bonne partie de la jeunesse, des membres de syndicats, des intellectuels, et qui véhiculait son programme à travers un journal nommé Chantiers.

Daniel Fignolé alors secrétaire du MOP
Plus tard président provisoire d’Haiti
Photo de Robert W. Kelley (Life magazine)
prise au palais national en mai 1957.

La popularité du parti, la sympathie engendrée parmi les intellectuels noirs et l’engouement des masses devraient lui assurer une victoire certaine. A la surprise générale, le MOP n’obtint aucun siège à la chambre des députés et au sénat. Fignolé, son secrétaire-général et candidat à la députation, fut défait par son rival Georges Voltes.

Mascarade! crièrent alors les mopistes et leurs sympathisants. Et des protestations violentes contre les résultats des élections s’ensuivirent. Les militaires réagirent tout aussi violemment instaurant même pendant un certain temps le couvre feu sur tout le territoire.

  1. Voir : Juntes et conseils de gouvernement.
  2. Voir : Éphéméride: 11 janvier 1946
  3. « le dernier gouvernement…, celui d’Élie Lescot, devait faire déborder le vase, en instaurant dans le pays le régime le plus étroit d’esprit, le plus réactionnaire qu’Haiti ait jamais connu. Toutes les mesures sociales, en effet, qui ont été prises l’ont été au détriment du plus grand nombre, toutes les lois étaient faites pour favoriser une seule classe d’hommes, celles des possédants. » (Baguidy, Joseph D. Dynamique d’une révolution : 1946 à Haiti. Essai. Berne, Suisse : Editions Color off set, 1972; p. 30-31)
  4. Ce fut la dernière fois que l’assemblée fut habilitée à choisir un président. Le prochain chef d’état, Paul Eugène Magloire, fut choisi à la suite d’une élection au suffrage universel.
  5. 866 citoyens haitiens se portèrent candidats pour 27 sièges à la chambre des députés et 21 au sénat.
  • Baguidy, Joseph D. Dynamique d’une révolution : 1946 à Haiti. Essai. Berne, Suisse : Editions Coloroffset, 1972.
  • Bernardin, Raymond General Paul Eugène Magloire : une biographie politique. Editions du CIDIHCA, 2000.
  • Bonhomme, Colbert. Révolution et contre-révolution en Haïti de 1946 à 1957. Port-au-Prince, Impr. de l’État, 1957.
  • Jean Jacques, Fritz. Le régime politique haïtien : une analyse de l’État oligarchique, 1930-1986. Montréal : Éditions Oracle, 2003.
  • Pierre, Pressoir. Témoignages, 1946-1976 : l’espérance déçue. Port-au-Prince, Haïti : Impr. H. Deschamps, 1987.
  • Voltaire, Frantz. Pouvoir noir en Haïti : l’explosion de 1946. Montréal, Québec, Canada : Editions du CIDIHCA, 1988.