Covid-19: Angoisse, anxiété et peur

J’ai été ce matin dans un supermarché généralement bien achalandé de la périphérie de Boston. La majorité des étagères contenant des produits de première nécessité étaient pratiquement vides. Et la ligne conduisant à la caisse était si longue qu’il m’a fallu près de trois heures pour m’acquitter de mes achats.

Les acheteurs exerçaient une patience et une retenue qui feraient l’orgueil de leurs leaders. Certains maniaient fiévreusement leurs téléphones mobiles; d’autres, tout en respectant la distance sociale recommandée par les responsables de la santé publique, s’entretenaient avec le compagnon le plus proche.

De ces conversations resonnait l’écho d’une grande anxiété qu’on essayait de son mieux de voiler. Quant aux enfants, ils ne cessaient d’interroger les adultes qui les accompagnaient. Une fillette, observant tant de monde un vendredi matin, demanda à sa mère: « Ça ressemble à la Noël. Est-ce que le père Noël revient bientôt? » La mère répondit calmement: « Non, mon chou, ce n’est pas la Noël » . Et de marmonner : « Le père Noël ferait mieux de revenir et nous retirer de ce pétrin ».

Une autre femme qui semble être dans les premières années de la cinquantaine, après un long soupir, se demanda si on n’est pas en train de vivre les derniers jours.

Mon portable était bien terré dans ma poche et je ne parlais à personne. J’observais et écoutais. Pourtant j’avais bien envie de répondre à cette mère et à cette dame qui vivait avec la crainte d’assister aux préludes de la fin du monde.

Je voulais par exemple dire à cette mère qui rêvait d’une intervention du père Noël, que ce vieillard à l’air toujours enjoué, s’il existait, serait impuissant devant cette pandémie. De plus, vu son âge avancé, il ferait partie du groupe le plus susceptible de ne pas se refaire en l’absence d’un vaccin contre le virus et d’un traitement.

Je voulais dire à cette quinquagénaire que ceux qui vivront les derniers jours ne s’en rendront même pas compte. Jésus, le Fils de Dieu nous a prévenus en ces termes: « Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père, seul. » (Bible de Jérusalem, Mt. 24 :36).  Le monde n’est pas à sa première pandémie. Il a connu entre autres :

  • La peste durant l’empire romain à la fin de la dynastie « antonine » dont les dégâts catastrophiques et la panique qu’elle provoca furent bien documentés;
  • La peste, au cours du haut Moyen-Âge: Les premiers cas furent décelés au VIè siècle. La pandémie se répandit rapidement dans les pays méditerranéens, et atteignit aussi bien l’Égypte.
  • La peste réapparue en 1347 en Asie. Surnommée « peste noire », elle se propagea rapidement via les guerres, et toucha les populations les plus faibles, faisant au passage des millions de victimes, le tiers de la population de l’Europe d’alors;
  • La grippe espagnole ou Influenza: une pandémie meurtrière originaire de Chine, qui pendant un an (avril 1918 à avril 1919), contamina plus d’un tiers de la population du monde et fit plus de victimes que la première guerre mondiale (1914-1918);
  • Et recemment, le Sida dont les premiers signes remontent à la décade 1970 et qui continue à faire des victimes quoique les décès liés à cette pandémie aient été réduits de plus de 56 % depuis le pic de 2004.

Mais je me suis retenu ayant compris que cette mère ou cette quinquagénaire qui ont probablement passé leur vie dans un monde démocratique et confortable encadré par des institutions fortes, n’ont probablement jamais expérimenté l’angoisse de la faim, l’anxiété suscitée par la violence gratuite et indiscriminée, le phénomène du « pays lock », la peur qui bouleverse les entrailles d’une mère à l’idée que son enfant, déposé le matin à l’école, peut devenir une victime du kidnapping. Certes le coronavirus suscite l’angoisse, l’anxiété et la peur, tous des sentiments compréhensibles aujourd’hui, et qui disparaîtront une fois la pandémie contenue et le virus possiblement éradiqué, car leur gouvernement, qu’il soit au niveau local, provincial ou fédéral se soucie bien du bien-être collectif et ne lésinera pas sur les moyens pour arriver à bout de la pandémie, et ce, malgré une carence temporaire de laboratoires aux capacités diagnostiques, la disponibilité d’un vaccin, le flou autour de l’origine de la maladie, et l’institution d’un traitement.

Avec toutes ces idées trottant dans ma tête, je me suis retenu me dirigeant tranquillement et lentement vers la caisse avec l’espoir que chacun, devant cette pandémie, prenne sérieusement ses responsabilités personnelles (respect des règles d’hygyène et de la distance sociale), communautaires (attention aux plus vunérables) et citoyennes (respect des consignes des autorités de santé publique et rejet de la politisation de la maladie).

J.A.
Boston, Massachusetts (USA)
Vendredi 13 march 2020