Lettre de la CEH: Trois ans après le séisme: l’avenir n’est plus à attendre, mais à construire dans la foi

Texte reçu le 12 janvier 2013

image041. Le séisme du 12 janvier 2010 a terriblement frappé notre société, causant un nombre impressionnant de morts, entraînant de milliers d’orphelins, de personnes porteuses de handicaps, de sans-abri, de marginalisés, de déplacés internes, de migrants et de réfugiés. De nombreux édifices et maisons dans plusieurs villes du pays ont été effondrés ou endommagés. Ce tableau sombre avait suscité un élan réconfortant de solidarité nationale et internationale.

2. Cette catastrophe a mis à rude épreuve les familles haïtiennes, les principales institutions du pays, les étrangers vivant en Haïti, ainsi que les principales structures de solidarité et de coopération internationales.

3. Le Peuple haïtien a étonné le monde entier par la force emblématique de la solidarité nationale, de son courage et de sa foi irréversible en Dieu : « Un pauvre a crié, le Seigneur écoute et de toutes ses angoisses il le sauve ». (Ps 34, 7)

4. Les malheurs du pays ne se sont pourtant pas arrêtés là. D’autres catastrophes naturelles et de nouvelles épidémies, difficilement maitrisables, ont ensuite ajouté aux douleurs du Peuple et interpellé les dirigeants nationaux et les partenaires internationaux sur l’état critique de vulnérabilité du pays.

5. Aujourd’hui, frères et sœurs, Peuple haïtien, trois ans après le séisme, il y a tout lieu d’être inquiet. Les progrès réalisés en termes de conjugaison des efforts de tous les Haïtiens de bonne volonté, d‘amélioration des conditions de vie de la population, notamment des couches défavorisées, et d’une authentique reconstruction sont tellement minces qu’elles sont presque imperceptibles.

6. Les principaux secteurs concernés ont plutôt tendance à se rejeter mutuellement et indéfiniment la responsabilité des malheurs du pays, répétant la faute originelle d‘Adam et Ève qui se refusaient toute responsabilité directe devant le mal qui fait souffrir et entrave l’avenir. Quel dommage!

7. L’inquiétude de la Conférence des Évêques d’Haïti va encore plus loin lorsqu’elle constate le peu d‘efforts déployés pour l’instauration d’un dialogue serein entre les forces vives de la Nation, pour le changement des mentalités et pratiques négatives, pour la promotion intégrale de chaque Haïtien, pilier essentiel pour une reconstruction authentique ainsi que pour la paix, la sécurité et le développement intégral de la personne humaine.

8. L’Église invite donc les forces vives de la Nation à se ressaisir, à se cramponner à ce qui peut les unir dans la vérité pour faire renaître l’espoir, en donnant une chance à chaque Haïtien que pressent énormément diverses formes d’insécurité et de vulnérabilité. Cette situation de misère, de souffrance et de désespoir est intenable.

9. L’Église invite chaque acteur de la vie nationale à prendre ses responsabilités, avec un minimum de conscience et dans le respect scrupuleux des lois de la République. La reconstruction nationale, l’amélioration des conditions de vie de la population nationale ne peuvent se concrétiser dans le désordre, les divisions internes sans grandeur, la recherche d’intérêts personnels ou de partis au détriment des intérêts supérieurs de la Nation.

10. Plus d’un s’interroge également sur les efforts de reconstruction au sein de l’Église catholique. À cet égard, la Conférence des Évêques d’Haïti informe les fidèles et le public en général que la stratégie adoptée pour la reconstruction du patrimoine endommagé de l’Église catholique se révèle jusqu’à présent inefficace.

11. Dans le souci d’accompagner les efforts de reconstruction nationale, les Évêques décident de décentraliser cette reconstruction. Les critères de fiabilité dans les normes parasismiques et anticycloniques sont inviolables, avec la garantie d’une gestion ordonnée et transparente. Ce sont là des critères pour la pose des premières bases structurelles à considérer avant d’ériger des murs qui ne tarderont plus à se faire voir.

12. Mais, en même temps que la reconstruction de murs, l’Église désire édifier de manière permanente le tissu social haïtien. À quoi serviraient alors les plus splendides édifices sans une vision commune et un projet national de peuple?<

13. Par le fait même, nous ne voulons pas reconstruire des murs en détruisant notre dignité de peuple et nos relations humaines, avec tout ce qui nous a depuis plus de deux siècles permis de lutter et de rester debout dans les épreuves multiples. Nous ne voulons pas que les pauvres continuent de souffrir davantage à cause des rapports conflictuels des grands. Ni que les nations amies punissent les administrés à cause de l’administration ou des administrateurs. Qui en pâtira vraiment?

14. Haïti a plus que jamais besoin d’un appui international réel, sincère et coordonné face à une situation encore dramatique où la reconstruction promise et tant attendue demeure en panne. Il ne nous faut donc pas seulement espérer que des mains secourables nous soient tendues. Restons attachés à nos valeurs culturelles faites de solidarité dans la charité, de foi confiante et d’espérance, souvent, contre toute espérance. L’exhortation de l’Église continuera, malgré les impasses sociopolitiques du temps, de s’incarner dans votre vie et dans la vie de votre famille. Elle vous accompagnera, grâce à ses prières et ses structures sociales, partout où l’homme et la femme haïtienne auront besoin d’être aimés et aidés.

15. Portons également tous les défunts du séisme dans la prière. Que la grâce de Jésus, Notre Seigneur, leur obtienne le bonheur de contempler éternellement la face de notre Dieu.

16. La Conférence des Évêques d’Haïti, fidèle aux principales dimensions de la mission de l’Église catholique, invite l’ensemble des fidèles, le peuple haïtien tout entier, à tourner les yeux vers le Seigneur et à s’ouvrir à la vraie espérance qui ne déçoit jamais. Ce qui vous fera vaincre les angoisses du monde, c’est votre foi.

17. Que la bénédiction du Seigneur vous réconforte dans vos souvenirs combien douloureux et vous aide à vous tourner vers un avenir qui n’est pas juste à attendre, mais à faire, à refaire et à parfaire.

Donné à Port-au-Prince, le 11 janvier 2013 fête des Saints Théodose et Paulin

Mgr. Chibly LANGLOIS
Président de la CEH
Évêque des Cayes