Message de Noël 2005 de la Conférence des Évêques d’Haïti

Texte reçu le 9 décembre 2005

1. « Viens, soleil levant, splendeur de justice et lumière éternelle, illumine ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort ».

Jesus_noel2. Sœurs et frères bien-aimés,
La fête de Noël est celle d’un dénouement porteur d’une profonde transformation. Ce dénouement pressenti et annoncé par les prophètes est parvenu à son terme après une longue attente, au cours de laquelle le peuple juif a dû passer par le creuset de la souffrance.

3. Cette attente s’est concrétisée à Noël dans l’irruption de Dieu au cœur de l’histoire des hommes pour renouveler la condition de l’homme lui apporter la délivrance et le salut. Noël, c’est donc la fête de la promesse qui ne déçoit pas, la promesse du renouvellement, de la transformation, d’une renaissance annonciatrice d’une nouvelle vision des choses et du monde.

4. Dans cette optique, ne pouvons-nous pas souhaiter que la crise qui a tissé et secoué la vie nationale depuis de nombreuses années, tel un long cauchemar, ne soit pas une étape gratuite, vécue en vain? Ne pouvons-nous pas espérer que, grâce aux sacrifices et aux efforts consentis, échappant aux malheurs horribles qui pendaient sur nos têtes, nous n’ayons pas souffert pour rien? Ne pourrions-nous pas en tirer profit comme d’un enfantement douloureux? Car de toute crise bien gérée peut naître maturité, transformation, nouveau départ.

5. « Si le Seigneur ne bâtit la maison en vain peinent les maçons » (Ps 127,1). Nous voici, de nouveau, à une croisée de chemins. Nous savons que, en définitive, notre salut vient d’En-Haut, mais avec notre effective collaboration. Nous sommes un peuple qui a foi en Dieu, qui croit en ses promesses, qui, face aux épreuves de toutes sortes, sait accorder cette foi, dans la prière, avec son courage humain. Aujourd’hui, encore, il a de ces ressources dont il peut se servir à bon escient.

6. Il nous semble que les opérations électorales prochaines offrent une occasion et un lieu favorables où nous pouvons harmoniser notre foi avec notre responsabilité citoyenne. Car Dieu, le Dieu de la vie, est le Dieu de l’Histoire, de l’histoire des peuples ! La vie de chaque peuple est dans sa main, car chaque peuple a du prix à ses yeux. Or, un peuple, dans toutes ses composantes, précisément sous la conduite de l’Esprit, doit, lui aussi, se prendre en mains et forger son propre destin, dans la voie où le Seigneur l’engage.

7. Les élections sont donc, dans ce contexte, un moyen privilégié pour un peuple, une nation, d’affirmer ses choix libres, éclairés et propres. Aussi, le vote est-il d’une importance capitale. Il représente l’exercice de votre autorité, l’expression de votre pouvoir sur le destin de la Nation. Ne pas voter serait faire cadeau de votre droit de décider du sort de la Nation à un autre qui vote.

Ce serait doubler la mise de l’autre, lui accorder un pouvoir auquel il n’a pas droit. Voilà pourquoi nous exhortons tous nos concitoyens – les Laïcs de toutes conditions sociales, les Religieux et Religieuses, le Clergé – à exercer ce droit de vote, accomplissement de leur devoir civique. A ce carrefour de la vie nationale, nul n’a le droit de s’y dérober. C’est un service à la Nation. Il s’agit, en l’occurrence, d’un acte hautement patriotique et, à certains égards, historique.

8. Ne nous laissons pas prendre au piège de l’émotion ni de la démagogie. En notre âme et conscience, nous voterons pour ceux et celles que nous jugerons les plus propres et les plus aptes à travailler au bien-être du Pays; ceux et celles qui présentent un programme cohérent et réaliste, capable de sortir le Pays du gouffre où il est plongé; ceux et celles qui sont honnêtes, qui ont fait leur preuve.

9. En vérité, de quoi s’agit-il? Il s’agit de la viabilité du pays. Voilà pourquoi, c’est ensemble, en un faisceau, qu’il nous faut nous efforcer de remettre sur pied et en valeur nos institutions fracassées, ensemble qu’il faut provoquer un changement en profondeur, radical et durable; ne pas nous contenter de saupoudrage, ni d’actions superficielles, mais d’une transformation véritable des mentalités, faite d’honnêteté, du sens et du respect du bien de tous, de valeurs morales et spirituelles. Il s’agit, ni plus ni moins, de construire le pays et de l’organiser sur de nouvelles bases, d’offrir à chacun et à chacune la possibilité de vivre décemment en personnes responsables, libres et dignes, dans un environnement sain et régénéré.

10. Dieu, accorde, à ceux que nous choisirons, ta grâce. Qu’ils gouvernent ton peuple avec justice, qu’ils fassent droit aux malheureux et aux pauvres (cf. Ps 71/72 ad sensum). Ainsi donc, tous ceux-là doivent assumer leurs responsabilités. En prenant vraiment conscience de la situation véritable dans laquelle vit notre peuple, ils se rendront compte que l’on est en face d’un pays qui se meurt, que la misère est grande, qu’une pauvreté dégradante s’est installée, provoquée, en grande partie, par l’individualisme des uns, l’égoïsme des autres ou la corruption et le gaspillage des ressources publiques par d’autres encore.

Cette misère existe également du fait d’un manque d’attention soutenue des instances concernées vis-à-vis des humbles et des faibles. Et l’on a le droit et le devoir de se demander pourquoi les pauvres doivent-ils toujours attendre.

11. Alors, il faut vraiment se prendre au sérieux: les candidats, les électeurs comme les organisateurs des joutes électorales. La Communauté Internationale elle-même, de qui nous exigeons respect et honnêteté, doit nous prendre au sérieux.

Nous sommes aussi un peuple, nous avons une identité propre à nous, nous avons nos coutumes propres à nous; au-delà de nos difficultés et de nos malheurs, nous avons nos coutumes propres à nous; au-delà de nos difficultés et de nos malheurs, nous avons des valeurs dont nous n’entendons pas qu’elles soient ni piétinées, ni bafouées. Ce que nous désirons, c’est une aide qui aide le pays à s’aider lui-même durablement sans être ébranlé sur ses fondements.

12. Parlant de respect réclamé de la Communauté Internationale, nous dénonçons avec rigueur les sévices commis continuellement contre nos frères et soeurs à l’extérieur, en particulier et essentiellement en la république voisine, la République Dominicaine.

Mais en même temps, nous voudrions attirer l’attention de nos compatriotes, les jeunes en particulier, sur une certaine perte du sens d’appartenance, et sur un certain bovarysme enfantin, comme quoi, il n’y aurait plus aucun pôle de savoir chez nous ou que le pays n’aurait plus rien à offrir.

13. Qu’entendons-nous en demandant aux candidats, aux électeurs et à tous les acteurs de prendre les choses au sérieux? En clair, cela signifie ne pas simplement rechercher le pouvoir pour lui-même, ni pour des intérêts particuliers, même légitimes, mais de rechercher le bien supérieur de la Nation.

A ce compte, vous-mêmes, candidats, vous sentez-vous à même d’assumer cette charge, c’est-à-dire, les postes que vous postulez. Si oui, poursuivez votre route pour un éventuel service à la Nation; sinon, de grâce, baissez pavillon ! Quant à vous, électeurs, n’oubliez pas que vous êtes les maîtres du jeu. Le devenir du pays est au bout de votre vote. Réfléchissez bien à qui vous allez accorder votre vote. Ne vous laissez ni manipuler, ni acheter.

14. Nous en appelons à la conscience morale de tous, pour non seulement respecter les règles du jeu, accepter un verdict honnête et conforme à la vérité – ce qui s’appelle l’éthique politique que l’on réclame à cor et à cri – mais aussi pour œuvrer, tous ensemble, gagnants et perdants, à l’édification de cette Haïti nouvelle dont nous rêvons tous, une Haïti unie et fraternelle.

Mettons en commun nos ressources particulières, nos énergies, notre savoir au service de la Mère-Patrie, notre mère à tous, dans une abnégation digne de nos preux, digne de l’estime et de l’admiration de tous ceux qui nous voient vivre en gens responsables, véridiques et dignes.

15. Chers frères et sœurs, en Christ Jésus, à l’approche de Noël et du Nouvel An, tout en vous rappelant, selon la recommandation du Seigneur, de prier sans vous lasser, nous, vos frères Évêques, vous exhortons à ne pas baisser les bras, mais à faire monter vers le Dieu Tout-puissant, de ferventes supplications, pour que, de sa miséricorde, vous advienne plénitude de grâces. Que donc son visage s’illumine et s’éclaire pour vous ! Que vous tous, par l’intercession de notre mère, la Vierge Marie, mère du Perpétuel Secours, vous soyez comblés d’abondantes bénédictions ! Saint et Joyeux Noël ! Heureuse et Sainte Année !

Donné au siège de la Conférence Épiscopale, Port-au-Prince, le 2 décembre 2005.

Monseigneur Louis N. kébreau, SDB
Évêque de Hinche
Président de la CEH

Monseigneur Yves Marie Péan, CSC
Évêque des Gonaïves
Vice-président de la CEH

Monseigneur Joseph Lafontant
Évêque Auxiliaire de Port-au-Prince
Secrétaire Général de la CEH

Monseigneur Emmanuel Constant
Évêque Emérite des Gonaïves
Conseiller Général de la CEH

Monseigneur François Wolff Ligondé
Archevêque de Port-au-Prince

Monseigneur Joseph Serge Miot
Archevêque Coadjuteur de Port-au-Prince
Administrateur Apostolique Sede Plena

Monseigneur Hubert Constant, OMI
Archevêque du Cap-Haïtien

Monseigneur François Gayot, SMM
Archevêque Emérite du Cap-Haïtien

Monseigneur Guire Poulard
Évêque de Jacmel

Monseigneur Alix Verrier
Évêque des Cayes

Monseigneur Willy Romélus
Évêque de Jérémie

Monseigneur Chibly Langlois
Evêque de Fort-Liberté

Monseigneur Frantz Colimon, SMM
Évêque de Port-de-Paix

Monseigneur Pierre-Antoine Paulo, OMI
Evêque Coadjuteur de Port-de-Paix

Monseigneur Pierre A. Dumas
Évêque Auxiliaire de Port-au-Prince

Monseigneur Simon P. Saint-Hillien, CSC
Évêque Auxiliaire de Port-au-Prince