Gary Conille: sans complexe devant l’histoire

Texte reçu le 24 février 2012

Dr. Jean L. Théagène
Enfin, les dés sont jetés. Un nouveau locataire devra prendre gîte à la Primature, institution devenue depuis 1985, sous l’instigation du Ministre Jean Marie Chanoine, à travers les amendements de la Constitution de 1983 et approuvés à la faveur d’un referendum le 22 Juillet de la même année, la nouvelle maison du peuple. Mais de quel peuple, il s’agit ?

Est-ce celui des faubourgs de la Capitale et des grandes villes de province ou la faune des bidonvilles dressés comme des verrues à l’entrée des nouveaux agglomérats cossus, témoignages en béton armé des conquêtes matérielles d’individus en transfert de classe ? Est-ce encore cette horde de barbares déchaînés, manipulés par des politiciens sans vergogne en mal de popularité, qu’ils lançaient sur les foyers de paisibles citoyens à chaque fois que ces pêcheurs en eaux troubles évoquaient des tranches d’histoire pour masquer leur impéritie congénitale de procéder démocratiquement à la gestion de la République ? Loin d’imprimer à cette double casquette qui ne répond nullement à nos us et coutumes une orientation orthodoxe, Haïti, de 1991 à nos jours, a connu dix-sept têtes de Turcs. Aujourd’hui, les dés, pipés au départ, viennent d’être jetés.

Le dix-septième Premier Ministre Haïtien Gary Conille après quatre mois et 9 jours, a choisi, à son honneur, au lendemain des tempêtes de gouyad, des grivoiseries et des gagann du Carnaval haïtien, de sauter de l’avion Michelomartellien sans parachute. Reste au Président, dans son instinct d’homme politique d’accepter ou pas cette démission. Dans le cas d’une acceptation et dans un avenir incertain, une nouvelle équipe devra gagner et la confiance du Président et celle du Parlement en vue de pourvoir au bonheur et au bien-être de la population.

Mais la populace sera toujours présente, drapée dans sa légitimité numérique, prête à faire le coup de pierre ou de machette sur tous ceux, innocents ou coupables, qui l’ont tout au fil de l’Histoire maintenue à l’écart des tables de festivités. Dans les convulsions de l’écorce terrestre, ce qui était caché dans les profondeurs de l’abîme parait soudain au jour…mais il peut se faire qu’après la tourmente, la terre se referme sur ce qu’elle avait montré. Cette réminiscence nous est venue à l’esprit en pensant à cette épineuse question, simple en apparence mais soutenant d’autres grandes inquiétudes : Et après la démission?

Depuis 21 ans que dure cette comédie macabre, dix-sept premiers ministres, tout à fait éphémères, n’ont rien apporté à la société Haïtienne en termes d’amélioration de ses conditions de vie. Pire encore, ils l’ont précipitée dans un abîme sans fond en creusant davantage entre les membres de cette société le fossé des inégalités. Nous gardons encore à la mémoire le plus grand hold-up du siècle, quand le Premier Ministre Marc Bazin opérait trois frappes de monnaie équivalant à plus de neuf milliards de gourdes. En sus des problèmes socio-économico-politiques, ils ne se sont jamais colletés à l’évidence de l’occupation et aux contraintes de la privatisation, vache à lait de politiciens s’enrichissant éhonté ment aux dépens du peuple bon enfant et ouvrant la voie à tous ceux qui ne comprennent rien à la politique de parler d’une gangrène nouvelle dans le circuit historique des peuples.

A la méditation des hommes au pouvoir, devant que vienne la nuit, nous laissons cette phrase d’Emile Chedieu, point d’orgue de notre réflexion : « L’œuvre des oppositions est mêlée de bien et de mal comme toutes les choses de ce monde ; mais elles comptent dans leur histoire un certain nombre de pages d’un éclat incomparable ; la postérité ne saurait oublier que dans les rangs de l’opposition se sont trouvés unis par moments le courage et la vertu, les plus nobles élans du patriotisme et les accents sublimes de l’éloquence. Que de grands caractères s’y sont formés ! Que de cœurs généreux y ont combattu et s’y sont dévoués pour l’humanité ! Qu’importe après cela que toutes les causes patronnées par l’opposition n’aient pas triomphé ? Dans l’œuvre des hommes, les erreurs sont éphémères, les vérités survivent ; à l’opposition, fille du libre examen, il faut savoir tenir compte des unes et pardonner les autres ».

Les lecteurs de ces lignes n’auront rien à perdre à attendre le tomber du rideau.

Dr. Jean L. Théagène
Miami, le 24 Février 2012