Paskó, peintre de formes hybrides

Texte reçu le 23 octobre 2009

Mireille Pérodin Jérôme et Marie- Lucie Vendryes

pasko_20100519Des conditions historiques particulières ont porté, ces vingt dernières années, les plasticiens haïtiens à sortir de leur isolement. La participation régulière et organisée aux grandes manifestations internationales (Venise, Johannesburg, Havane, Madrid, Santo Domingo, Porto-Rico, São-Paulo…) à travers expositions, foires, biennales, performances collectives, concours ; le développement récent de l’offre de séjour en résidence ; la mise en place d’institutions privées d’accompagnement, plateformes d’échanges et de brassage d’idées (musées et fondations…) ; l’expérience de rencontres croisées entre plasticiens et littéraires, tous ces facteurs ont ouvert le champ des pratiques artistiques à d’importants courants de production où s’élabore un langage plastique résolument contemporain.

Les pratiques plastiques exposées à de nouveaux enjeux et à de nouvelles contingences se sont orientées vers des démarches créatrices radicales remettant en question le principe même du beau. Il fallait sortir du modèle traditionnel de représentation fondé particulièrement sur le naïf et le contemplatif, il fallait repenser la figure comme entité autonome et générer de nouvelles catégories de formes. Telles sont les préoccupations conscientes ou non des jeunes plasticiens haïtiens. Rivière Froide, Grand Rue, Girardeau, Carrefour Feuilles, Croix-des-Bouquets voilà les noms des quartiers et villages où bouillonne cette force vitale qui les habite.

Parmi ces plasticiens, le peintre et dessinateur, Pierre Pascal Merisier dit Paskó, projette un autre regard sur la réalité.  Il se distingue des autres par l’élaboration d’un langage pictural original. Le travail de Paskó repose sur trois éléments fondamentaux : lignes, couleurs et rythmes. En effet, la ligne épaisse, vigoureuse, trace le contour des formes pour leur assurer une présence forte. Ces formes sans modelé se construisent par plans simplifiés. Leur côté « aplati » leur procure une sorte de puissance acquise justement par ces cernes qui délimitent l’espace et les isolent d’un fond à peine garni. Car fond et forme ne se distinguent pas par leur chromatisme. Les couleurs sont étalées sur toute la surface. Elles se côtoient ou se heurtent. Elles s’étalent dans leur palette vive et restreinte ; Paskó fait usage le plus souvent de mauve, de bleu, de jaune, de rouge, de vert et de noir. Les tons s’accordent souvent pour évoquer un ventre, un mollet, un sein, une fesse. Parfois, Paskó opte pour une unité chromatique (le rouge, par ex.) qui campe son unique personnage dans toute sa vigueur. Parfois encore, le peintre utilise le blanc qu’il contraste avec le noir pour donner cette intensité et cette profondeur à la forme hybride debout au milieu de la toile et qui fait face au public.

L’univers onirique de Paskó offre, notamment dans l’œuvre pastel, ces figures solitaires apparentées à celles des graffitistes. Les personnages sortis de l’imaginaire du peintre viennent à créer un monde de prédilection où Minotaures, Cyclopes, succubes et incubes s’installent dans une
normalité. Et ces formes plates gagnent leur puissance et leur force de ces lignes accusées qui les entourent, de ces tons qui évoquent la masse et de ces rythmes qui suggèrent une gesticulation débridée de bras ou d’ailes.

Il en ressort des formes singulières définies comme hybrides par l’artiste lui-même. Ces formes hybrides ne devant pas être comprises comme formes symboliques mais comme objets construits à partir d’éléments empruntés et réorganisés. L’hybride chez Paskó se construit en effet à partir d’un montage, de gestes d’imbrication apparemment simples :
« Mes formes, en dessin comme en peinture, sont tirées principalement des petits personnages du peintre capois, Jacques Richard Chéry, qui portent sur la tête des fruits géants. Je leur ai enlevé le panier, j’ai récupéré les fruits que j’ai intégrés à la tête et vous avez ces formes hybrides. »

L’hybride, ici, naît du réaménagement de traits forts agissant sur les formes de construction ou de réception du réel. J’opère de la même façon pour le Minotaure. Avec les cornes, j’ai composé la tête et j’ai récupéré l’élément le plus fort qui est l’œil que  j’ai placé en plein milieu. »(ibidem) Voilà le Minotaure devenu Cyclope. Une nouvelle forme d’image est élaborée dans un espace  intermédiaire entre paysage intérieur et image sacrée. Cette iconographie exploratoire propose une vision du monde ludique et créative.

En sortant du système traditionnel de figuration, Paskó ne le subvertit pas, il le modifie. Cette modification s’opère par prélèvement et associations d’éléments d’emprunt. Quand il traite la figure, il la modifie sans en altérer la nature. L’artiste favorise ainsi l’apparition de formes insolites,
d’espèces en mutation (femmes-oiseaux, hommes-têtards, cyclopes cornus…) A partir de procédés propres aux littéraires le peintre construit un vocabulaire plastique d’une grande force poétique : la métonymie et la métaphore (omniprésence de l’œil-intelligence), l’ellipse (réduction de la figure à
quelques éléments constitutifs), la substitution par imbrication d’éléments différents (arbre/corps, oiseau/femme) et la citation par intrusion de signes et symboles identifiables.

Chez Pasko, il n’existe pas de corrélation entre l’hybride et le monstre.  Sa figure ne réfère pas au démoniaque comme c’est le cas pour l’hybride originel. Son univers hybride est un lieu fécond où toutes les formes sont généralement en mouvement.  Cette poétique du mouvement est portée par les pulsions irrésistibles du désir.

Paskó, quoique fortement graphique, n’abandonne pas la logique picturale,  il s’appuie au contraire sur des zones de références sûres : le naïf contemporain de Roberto Combas,  le primitif afro-caribéen de Robert St Brice et de Manuel Mendive, l’écriture pictographique hybride de Stivenson Magloire, la figuration «dégoulinante»  de Clermont Julien. (Réf. Entretien, pages suiv.)

Pasko nous pose une énigme.  «Sacré, sans le savoir », pour reprendre l’expression utilisée par Dominique Chancé(1) à propos de l’écriture hybride et baroque de Alejo Carpentier et de Daniel Maximin, le peintre cultive une fascination pour l’image, le désir, les fantasmes répétés à l’infini. Cela lui procure une liberté qui l’incite à jouer avec les niveaux d’interprétation d’un monde visuel complexe qui réfère à une réalité intangible.

Mireille Pérodin Jérôme
Marie-Lucie Vendryes

  1. Dominique Chancé. Poétique baroque de la Caraïbe. Paris: Karthala, 2001; p.152.