Qui sont derrière les étudiants grévistes?

Au début du mois de mai dernier, bourgeonna un mouvement de grève des étudiants de la faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’Haiti. Ces derniers ont voulu remettre en question la décision du décanat de remplacer certains cours importants par des séminaires. Ce mouvement s’est amplifié ces deux semaines et les manifestations presque quotidiennes se font de plus en plus violentes.

Manifestation des étudiants le 5 juin 2009
Une image de la manifestation des étudiants du 5 juin 2009.

(AP Photo/Ramon Espinosa)

Tout en maintenant leurs premières demandes, les étudiants aujourd’hui dénoncent également la possible collusion du chef de l’exécutif avec le patronat, et réclament la publication immédiate de la nouvelle loi sur le salaire minimum (1).

Tout laisse croire que cette initiative émane des futurs médecins et pharmaciens et que ceux-ci contrôlent la gestion du mouvement. Mais l’histoire des grèves et des mouvements estudiantins en Haiti nous a appris qu’avant ou pendant les manifestations publiques, les étudiants bénéficient toujours d’un certain encadrement de secteurs dont le projet social ou politique ne coïncident pas toujours avec les leurs.

En novembre 1929, un groupe d’étudiants de l’École Centrale d’Agriculture initièrent un mouvement de grève pour simplement protester contre une décision du directeur du service technique(2) de l’enseignement agricole et professionnel de réduire les bourses d’études. Il fut vite récupéré tout d’abord par le personnel du service technique et ensuite par l’opposition politique. Lors des agitations paysannes de Marchaterre près des Cayes et du massacre qui s’ensuivit, les étudiants avaient perdu tout contrôle du mouvement(3).

En janvier 1946, on fit appel aux étudiants pour soutenir les responsables du journal La Ruche, emprisonnés sous les ordres du président Élie Lescot. L’ampleur de la grève força l’armée à intervenir(4).

En 1960, les étudiants se sont à nouveau trouvés au centre des controverses idéologiques et politiques. Comme en 1929 et 1946, on leur laissa le rôle de soldats d’infanterie et beaucoup y ont laissés leur peau alors que des commanditaires ont eu le temps de s’expatrier ou de demander la protection d’une représentation diplomatique accréditée.

Fin de l’année 1985 et début de 1986 lors de la révolte contre Jean-Claude Duvalier, et fin de l’année 2003 (5), dans la lutte contre le gouvernement d’Aristide/Neptune, des formations de l’opposition sans aucun projet politique réaliste et à long terme se sont lancées dans des opérations insurrectionnelles forçant les étudiants à appuyer leurs nombreuses protestations. Des leaders de ces formations se retrouvent aujourd’hui de l’autre côté de la barricade; certains devenant aujourd’hui les cibles des étudiants grévistes et de leurs alliés.

Aujourd’hui, on doit se demander qui finalement encadrent les étudiants de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haiti et ceux qui sont venus renforcer leurs rangs. Qui financent l’action des étudiants casseurs avec l’idée d’en tirer dans un avenir pas trop lointain un bénéfice proportionnel à leur investissement ou aux énergies dépensées?

Malheureusement, l’histoire nous enseigne également que les commanditaires des mouvements de protestations estudiantins n’en sont pas toujours les bénéficiaires. Que les étudiants se souviennent surtout que les alliés d’aujourd’hui peuvent facilement devenir les opposants voire les ennemis jurés de demain.

J.A.

  1. La loi portant le salaire minimum de 70.00 à 200 gdes a été voté par la chambre des députés le 5 février dernier et par le sénat à l’unanimité trois mois plus tard (5 mai 2009). Les membres influents de l’ADIH s’insurgent contre la promulgation de cette loi.
  2. Le service technique créé par les Américains qui occupaient le pays depuis près de 14 ans, était vue comme une institution typique de l’occupation.
  3. Le massacre de Marchaterre (6 décembre 1929) passa dans l’histoire comme la plus grande bavure de l’occupant. Le président américain, Hoover, envoya alors une commission d’enquête présidée par W. Cameron Forbes. Les membres de cette commission critiquèrent certains aspect de la politique américaine et préconisa une haitianisation de l’armée et des institutions. (Voir: Bibliographie sur l’occupation américaine)
  4. Voir Ephémérides: 7 janvier 1946; 10 janvier 1946; 11 janvier 1946; 14 janvier 1946. Voir aussi profil de Elie Lescot de Notables et personnalités d’Haiti.