Message de Noël 2018 de la Conférence Épiscopale d’Haiti

Texte reçu le 10 décembre 2018

« Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale » (Galates 4, 4-5).

bishop-hat1. C’est avec ces mots de grande portée et de large ouverture que Saint Paul, dans la Lettre aux Galates, décrit l’intervention salvifique de Dieu en faveur de l’humanité. Saint Jean, pour sa part, dépeint le mode de cette intervention divine par une expression concise et très imagée : « Il a dressé sa tente parmi nous » (Jean 1, 14).2. À l’homme incapable de se racheter, le Fils de l’homme redonne confiance. Il se fait proche de lui. Il assume en tout sa condition, sauf le péché. Il dresse sa tente à côté de la sienne pour que, en toute confiance, il retrouve sa fierté, sa grandeur et sa dignité. Dieu ne laisse pas l’homme s’engouffrer sans retour dans l’abîme du mal, quel que soit son nom. Il vient à sa rescousse pour l’aider à remonter du tréfonds de sa chute, pour qu’il ait confiance en la force de Celui qui le sauve.

3. Chers fils et filles d’Haïti vivant à l’extérieur et à l’intérieur du pays, nous vous saluons avec notre affection pastorale. Nous nous apprêtons à fêter Noël. C’est la venue parmi nous de Jésus-Christ, Fils de Dieu, notre Sauveur. Il vient encore aujourd’hui, en ce temps qui est nôtre, planter sa tente parmi nous.

4. Ce temps est marqué par les grands maux qui affectent notre pays, dont la liste est connue de tous. Citons cependant : la faillite des institutions étatiques, l’escalade de la violence, les gangs armés à la solde de puissants sponsors, la débâcle économique croissante engendrant un appauvrissement intolérable, la corruption généralisée, l’impunité arrogante, la méfiance, le non-respect de la sacralité de la vie et l’atteinte effrontée à la dignité de la personne humaine que nous avons déjà dénoncées avec vigueur dans notre dernier message du 27 septembre 2018. À cet effet, comment ne pas dire l’horreur et l’effroi que nous avons éprouvés devant l’état révoltant de certaines victimes mutilées et jetées à l’aventure et au cloaque ! Aux familles éplorées, nous exprimons encore nos vives sympathies et nous attendons que les auteurs de ces crimes horribles soient appréhendés et traduits en justice.

5. La Nation est en train de creuser le gouffre de son anéantissement. C’est au bord de ce gouffre que le Fils de Dieu vient aujourd’hui nous rejoindre. Il nous tend la main et nous redit avec force d’avoir confiance en Lui, confiance en nous-mêmes et confiance les uns dans les autres. Ce climat de confiance est la condition sine qua non de toute velléité de dialogue. Nous aspirons tous à ce dialogue que nous appelons de plusieurs façons. Peu importe le nom que nous lui donnons, ce dialogue exige, outre un climat de confiance et de vérité, une attitude d’écoute, de franchise et de dépassement de soi à la recherche du bien supérieur de la Nation.

6. C’est sur ce terrain de dialogue vrai, sincère et inclusif que nous proposons de ramener le dossier PetroCaribe auquel il faut donner une suite concrète dans le plus bref délai, tant en son aspect administratif qu’en son aspect juridique. Qu’on ne s’y méprenne pas, l’Église reconnaît la nécessité du dialogue, elle le propose à la nation sans se proposer elle-même. L’Église s’engage aux côtés du peuple haïtien sur cette voie en vue d’une réalisation plus adéquate du Bien Commun (cf. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 417).

7. Nous sommes de plus en plus persuadés qu’il faut organiser le sauvetage de notre cher pays. À cette fin, chaque fils et fille de ce pays doit exercer un rôle actif et déterminant. Cela nous demande de nous ressaisir, de consentir des sacrifices très exigeants, sachant que nous ne ferons jamais rien de trop pour le bien de notre mère Patrie que nous aimons tous.

8. Vous les élus, à tous les échelons de l’État, votre responsabilité, en tant que mandatés par le peuple, c’est de tout faire pour arrêter cette dégradation inquiétante d’Haïti. Vous êtes chargés de protéger le peuple et les institutions démocratiques du pays. Vous devez renoncer aux privilèges indus et extravagants que vous vous accordez au détriment des besoins primaires et vitaux du peuple. Vous devez agir avant qu’il ne soit trop tard.

L’heure est grave.

Nous vous interpellons avec vigueur. Sachez encore que la légitimité n’est pas simplement un acquis, c’est surtout une conquête permanente. Quand, investis de pouvoir, nommés ou élus, vous êtes incapables de servir le peuple, votre légitimité s’effrite. Que peut-on espérer de vous si vous êtes incapables de défendre les intérêts de tous les citoyens haïtiens, c’est-à-dire de préserver le Bien Commun, objectif principal de toute politique ?

9. Vous qui êtes investis du pouvoir judiciaire, vous êtes appelés à faire régner le droit et la justice dans un système décrié et réputé corrompu. En êtes-vous vraiment conscients ? Nous en appelons à votre impartialité, votre indépendance, votre intégrité et votre courage.

10. Vous qui êtes engagés dans les partis politiques et qui travaillez à la conquête du pouvoir, nous vous rappelons que le pouvoir est un service. Par conséquent, vous êtes appelés à faire taire vos passions et ambitions personnelles afin que ce soit le pays qui gagne toujours. Comme nous le rappelle le Pape François, « une société politique perdure, si elle cherche, comme vocation, à satisfaire les besoins communs en stimulant la croissance de tous ses membres, spécialement ceux qui sont en situation de plus grande vulnérabilité ou de risque… » (Discours devant le Congrès américain, 24 septembre 2015).

11. Vous les membres de la société civile, hommes et femmes de bonne volonté, aimez sincèrement ce pays. Travaillez honnêtement à son développement. Votre rôle est de contribuer à la transformation de la société. Aussi, vous prions-nous de résister à tout aveuglement, à toute pression, intimidation et manipulation.

12. Fils et filles d’Haïti, tout ce que nous venons de vous dire sera lettre morte et parole vaine tant que le venin de la méfiance altère et dénature nos relations. Nous devons le reconnaître, la méfiance, engendrée par la peur, règne entre nous et entrave l’avancement de notre pays. Nous devons la
combattre. Et ce combat passe par l’éducation de la conscience pour une culture de la vérité, de la loyauté et de la probité. Elle nous permet de devenir des citoyens, citoyennes responsables.

13. Sur la route du peuple haïtien, il y a Marie, un modèle de confiance et d’égard compatissant pour l’autre. Elle n’a jamais désespéré, ni perdu confiance, même au pied de la croix. « Chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection » (Pape François. Exhortation post-synodale Evangelii Gaudium, n. 288). À Noël, c’est Dieu qui nous fait confiance en son Fils, qui a planté sa tente parmi nous et est venu restaurer la confiance entre nous.

14. Fils et filles d’Haïti, notre souhait le plus cher pour la Noël 2018 et la nouvelle Année 2019 est de cheminer et d’arriver à un véritable pacte de confiance, et ainsi donner un contenu réel à un nouveau printemps pour notre peuple. À Notre Mère très chère, Notre Dame du Perpétuel Secours, nous remettons ce vœu, pour que, par son intercession, il se réalise.

Donné à Lilavois, au Siège de la CEH, le 30 novembre 2018, en la fête de Saint André, Apôtre et Martyr.

Suivent les signatures des Évêques présents :

Mgr. Launay SATURNE
Archevêque Métropolitain du Cap-Haïtien
Président de la CEH

Mgr. Joseph Gontrand DECOSTE, sj
Evêque du Diocèse de Jérémie
Secrétaire Général de la CEH

S. Em. Chibly Cardinal LANGLOIS
Évêque du diocèse des Cayes

Mgr. Max Leroy MESIDOR
Archevêque Métropolitain de Port-au-Prince

Mrg. Désinord JEAN
Evêque du Diocèse de Hinche

Mgr. Pierre Antoine PAULO, omi
Évêque du Diocèse de Port de Paix
Mgr. Pierre André DUMAS
Évêque du Diocèse d’Anse à Veau / Miragoâne
Vice-Président de la CEH

Mgr. Marie Erick Glandas TOUSSAINT
Evêque Auxiliaire de l’Archidiocèse Port-au-Prince
Econome de la CEH

Mgr. Yves-Marie PEAN, CSC
Évêque du Diocèse des Gonaïves

Mgr. Quesnel ALPHONSE
Evêque du Diocèse de Fort-Liberté

Mgr. Ducange SYLVAIN, sdb
Evêque Auxiliaire de l’Archidiocèse Port-au-Prince

Mgr. Guire POULARD
Archevêque Émérite de Port-au-Prince