Note de la CEH sur la conjoncture actuelle

« À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ! »
Lettre de Saint Paul aux Romains 1:7

ceh_logo1. Nous, les évêques catholiques d’Haïti, réunis en Assemblée plénière, nous vous saluons avec déférence et affection. Nous vivons des moments difficiles dans notre histoire de peuple. Nous les voyons comme une phase critique dans notre croissance comme peuple. C’est pourquoi nous vous exhortons à ne pas vous décourager, à ne pas vous laisser désorienter, et nous sommes à vos côtés, nous cheminons avec vous.

2. Dans notre engagement comme pasteurs et comme citoyens en faveur de la défense de la dignité, de la vie, de l’avenir et de l’espérance de ce peuple, nous ne pouvons ne pas être attentifs aux maux qui ravagent notre pays et qui nous interpellent. Il faut, en effet, reconnaître aujourd’hui que notre pays est malade. Ces maux qui le rongent sont : impunité, corruption, violence des gangs armés, pour ne citer que ceux-là parmi tant d’autres. La constatation de toutes ces plaies fait surgir en nous une prise de conscience citoyenne de notre responsabilité collective du déclin de notre pays et de notre devoir de travailler ensemble à son relèvement.

3. L’impunité se définit comme la paralysie du bras judiciaire. Elle se manifeste quand le juge n’arrive pas à rendre justice, à cause de toutes sortes de pressions. Le policier s’en plaint quand il voit en liberté, sans raison fondée, celui qu’il gardait sous les verrous. Par l’impunité, la justice est bafouée. Et l’absence de justice, c’est la présence du non-droit.

4. Un autre grand fléau est la corruption. La corruption, c’est un mal généralisé et endémique. Érigée en système, elle tend à devenir naturelle. Elle cause de graves dommages sociaux, politiques et économiques difficilement réparables. Elle conduit tant les dirigeants que les dirigés à des pratiques mafieuses aux impacts incalculables. Nous avons pour preuve l’affaire PetroCaribe, qui provoque un salutaire réveil de la conscience civique et patriotique.

5. Nous nous rendons compte que le traitement de cette affaire demande la prise en considération de ces deux aspects fondamentaux : un aspect administratif et un aspect judiciaire.

  1. En ce qui a trait au côté administratif, nous exhortons les tenants du pouvoir exécutif à remettre ce dossier aux instances étatiques habilitées à le traiter, et à leur faciliter la tâche pour qu’elle soit efficiente, célère et correcte. Toute la nation a les yeux fixés sur ces instances et sur la manière dont elles vont traiter cette affaire. Nous les encourageons à s’adresser, en outre, si besoin est, à d’autres experts indépendants et impartiaux comme garantie supplémentaire de crédibilité et de neutralité.
  2. Quant à l’intervention judiciaire, ne cédant pas à la tentation commune de l’impunité, elle doit être efficace. Qu’elle tranche avec courage et sans parti pris ! Que tous ceux qui sont impliqués dans cette vaste affaire de corruption soient identifiés et remis à la justice pour répondre de leurs forfaits et écoper des sanctions adéquates. Cependant, l’enquête minutieusement et professionnellement menée, que nous attendons, seule est capable d’aider à faire la vérité et à établir la responsabilité des présumés coupables.

C’est notre vœu le plus cher de voir régner la justice et de voir respecté et appliqué le verdict final des instances concernées. C’est d’ailleurs le désir du peuple tout entier.

6. Quant aux gangs armés, qui sont protégés et approvisionnés par des sponsors de tout acabit, ils projettent une image vile et repoussante sur l’écran social. Forts de leurs armes, ils piétinent effrontément la loi, ils annulent sans vergogne les droits imprescriptibles des citoyens à qui ils enlèvent la liberté de circuler chez eux. Ils entravent la sécurité du pays et le conduisent vers le chemin de l’anarchie. À leurs sponsors, nous rappelons que la violence mène à la ruine et de sa victime et de son auteur (cf. Genèse 4, 10). À vous qui commettez les actes de violence contre vos frères et sœurs, nous vous rappelons le commandement de Dieu : « Tu ne tueras point » (Ex 20, 13) ; « Je demanderai compte du sang de chacun de vous » (Genèse 9, 5). Tout profit résultant de la violence porte malheur. Comme fils aimés de Dieu, vous devez chercher le vrai bonheur là où Dieu veut que vous le trouviez, c’est-à-dire dans le respect de la sacralité de la vie et dans le travail digne et honnête (cf. Genèse 3, 19). Aux autorités de l’État garantes de la protection et de la sécurité de chaque citoyen, nous recommandons un engagement effectif et implacable dans la lutte contre la violence aveugle imposée par les gangs armés.

7. Nous, évêques catholiques d’Haïti, exhortons tous les fils et filles de la nation à voir dans cette crise une opportunité pour éradiquer l’impunité, la corruption, la violence des gangs armés et faire sortir définitivement le pays du marasme dans lequel il se trouve.

8. Une nouvelle Haïti est possible si les Haïtiens et les Haïtiennes sont conscients des maux qu’ils infligent à Haïti et s’ils sont capables d’y apporter remède fermement. Nous sommes à une phase critique de notre histoire. Cherchons à bien la gérer, afin de faire émerger cette nouvelle Haïti que nous souhaitons.

9. Forts des ressources de la foi chrétienne, des valeurs éthiques, morales et civiques, nous ne saurions accepter l’état de déliquescence intolérable de notre pays et nous sentons que nous sommes munis d’énergie, de savoir et de volonté pour travailler ensemble à sa transformation.

10. Nous renouvelons ici l’engagement de l’Église catholique qui a accompagné et continuera d’accompagner la vie de cette nation, dans le combat contre tous ces maux que nous avons dénoncés avec vigueur, œuvrant afin qu’Haïti devienne et demeure une terre de dignité, de liberté, d’amour, de justice, de paix et d’espérance.

11. Que la Bienheureuse Vierge Marie, Notre-Dame du Perpétuel Secours, patronne et protectrice d’Haïti, intercède pour nous et pour cette nation bénie !

Donné au Cap-Haïtien le 27 Septembre 2018, en la fête de Saint-Vincent de Paul.

Suivent les signatures des évêques présents à cette Assemblée :

S. E. Mgr Launay Saturne
Archevêque du Cap-Haïtien
Président de la CEH
S. E. Willy Romélus
Évêque émérite de Jérémie
S. E. Mgr Pierre André Dumas
Évêque du Diocèse d’Anse à Veau et de Miragoâne
Vice-Président de la CEH
S. E. Mgr Yves Marie Péan, csc
Évêques du Diocèse des Gonaives
S. E. Mgr Joseph Gontran Décoste, sj
Évêque du Diocèse de Jérémie
Secrétaire Général de la CEH
S. E. Mgr Alix Verrier
Évêque émérite des Cayes
S. E. Mgr Pierre-Antoine Paulo, omi
Évêque du Diocèse de Port-de-Paix
S. E. Mgr Quesnel Alphonse, smm
Évêque du Diocèse de Fort-Liberté
S. Em. Chibly Cardinal Langlois
Évêque du Diocèse des Cayes
S.E. Mgr Jean Lafontant
Evêque Auxiliaire Emérite de Port-au-Prince
S. E. Mgr Sylvain Ducange
Évêque auxiliaire de Port-au-Prince
Mgr Désinord Jean
Évêque du Diocèse de Hinche
S. E. Mgr Max Leroy Mésidor
Archevêque de Port-au-Prince