Josaphat-Robert Large: Retour à la poésie

Par Hugues Saint Fort

Texte reçu le 11 septembre 2010

Échos en fuite (poèmes)
Par Josaphat-Robert Large
Le chasseur abstrait éditeur, France, 2010

Josaphat-Robert LargeAvec Échos en fuite, Josaphat-Robert Large renoue avec la poésie, genre qu’il avait délaissé depuis les années 1990 pour se consacrer au roman, peut-être le genre littéraire le plus représentatif de notre monde moderne. Dans cette veine, il a publié des textes de fiction qui
ont été remarqués non seulement chez les observateurs des œuvres de création produites dans l’Hexagone mais aussi chez ceux qui s’intéressent aux littératures dites « francophones ». L’un de ces romans, « Les terres entourées de larmes » (L’Harmattan, Paris, 2002) a obtenu en 2003 le Prix littéraire des Caraïbes. Je signale pour éviter tout malentendu que je me démarque des analystes de l’Hexagone qui font une différence entre une littérature dite « française » et ce qu’ils appellent les « littératures francophones », c’est-à-dire celles de l’Afrique sub-saharienne, de la Caraïbe, du Maghreb, de l’Océan Indien…

« Échos en fuite » se présente comme une succession de poèmes sans titre, sans signes de ponctuation se déroulant à n’en plus finir dans un infini thématique dont les points de repère sont : l’Histoire, la mémoire, l’île maternelle du poète et sa langue qui n’en finit pas de se mélanger à d’autres langues, la musique du passé, « la feuille de son souvenir égratignée par le vent, mangée par le vide » (page 69). Régulièrement, une gravure hermétique s’inscrit comme un souffle, comme une respiration, après un lancer de poèmes expressément posés par l’auteur sans doute mais sans qu’on sache pourquoi. Le mot « Histoire » figure quarante (40) fois dans la succession des poèmes qui composent le recueil. En voici quelques exemples :

Voici ma ville trouée
Et mon histoire en deuil
Ô mon Histoire qui fut histoires de gloire ! (pg. 15)

Voici mon Histoire encadrée de flammes

Mon histoire est au fond une histoire de vides
Voici mon Histoire aux flancs de mon être (pg.16)

Mon histoire est une histoire de ventres vides
D’enfants asphyxiés par la terreur (pg. 72)

Le thème de la mémoire ne se déroule pas aussi largement (sans jeux de mots) que le fait celui de l’Histoire mais il est présent tout le long du recueil. Le narrateur l’utilise dans des instances proches de l’Histoire où elle se confond presque avec l’Histoire comme ici :

J’allume ma mémoire
Et me présente homme d’il y a cinq siècles
Je fus canoteur d’îles en îles
Et j’ai ramé avec mon âme
Vers les flots de folies du futur (pg. 65)

Tous ceux qui se souviennent de « Partir sur un coursier de nuages » (L’Harmattan, 2008) du même auteur ont tout de suite reconnu les accents du narrateur de ce roman, sa quête et son chant désespérés vers ses origines.

Jamais la beauté d’un poème n’a été aussi éclatante et aussi douce que ces cinq vers que je ne peux résister à vous présenter. Dans ce registre, il est difficile de faire mieux :

La poésie est écho de ce qui a été
Une pure couleur d’un songe d’aimer
La musique d’une muse
Et toute cette douleur qui s’échappe
Des maux de l’existence (pg. 48)

Presque jamais pris en défaut, « Échos en fuite » véhicule une douceur, une lumière et une musique qui calme et transcende les problèmes incontournables de l’existence. Robert Large a atteint ici les sommets de ce que poésie veut dire. Son recueil est un petit bijou d’expression poétique sans grandiloquence, sans clichés, à mi-chemin entre musique et poésie. C’est du lyrisme à l’état pur, comme on n’en fait peut-être plus aujourd’hui dans la poésie française et francophone.

Hugues Saint-Fort