La « justice » dans le jargon des grandes personnes

Ce texte nous est parvenu, le mercredi 14 avril 2010, d’un compatriote résidant aux Etats-Unis, Joseph Bathélemy. Mr. Bathélemy est un étudiant de français, class IV , dans l’une des plus prestigieuses écoles secondaires de Boston, Massachusetts (USA). De légères corrections ont été apportées au texte original avec le consentement de l’auteur.

Justice:

J’entends rarement les adultes définir ce terme d’une façon claire. Signifierait-il donc qu’il n’y a pas ou presque pas de justice dans ce monde que je trouve merveilleux ou le terme lui-même est indéfinissable?<

Bien sûr, ils parlent de ces pays où fleurit la démocratie et où l’injustice est plus qu’une anomalie qu’une norme. Encore un mot abstrait qu’ils n’ont jamais pu verbalement définir en se mettant à notre niveau. Nous sommes, il est vrai des enfants, mais nous ne sommes pas des imbéciles. Notre sens de l’étonnement ne nous empêche nullement de comprendre certaines situations ou notions quand on veut bien prendre la peine de nous les expliquer en se mettant à notre niveau. Nous sommes des « tabulae rasae » et nous pouvons tout accueillir, sans préconception, mais il faut bien que ce qu’on veuille nous faire avaler soit digestible, que les données qui sont présentées aient quelque point d’appui, une certaine logique.

Des écolières de l’École du Sacré-Cœur de Turgeau,
le mardi 6 avril 2010, le deuxième jour du retour en classe
après le tremblement du 12 janvier 2010.
(Photo AP / Ramon Espinosa)

A les entendre, j’ai bien l’impression que la démocratie et la justice vont de pair, comme des siamoises. Là où celle-là est solidement plantée, fleurit inexorablement celle-ci. Est-ce à dire que l’injustice ronge les parties de mon merveilleux monde qui refusent d’accéder ou n’ont pas les moyens matériels d’accéder à la démocratie?

Pour définir la démocratie, les grandes personnes se rabattent derrière son contraire en employant des mots sonnants.

Quand une personne ou un groupe exerce à son profit seulement le pouvoir politique dans une région en n’admettant aucune opposition réelle, elles parlent de totalitarisme. Quand à ceux qui se font élire en dressant le petit peuple, dépourvu de tout, contre les nantis et certains éléments de de la classe moyenne, elles les qualifient de populistes. Tous veulent s’accaparer de tous les pouvoirs pour un temps indéfini en instaurant une dictature ou un gouvernement fasciste qui ignore, élimine ou réprime les ennemis politiques réels, potentiels ou simplement imaginaires. A les observer ou les entendre parler, on a l’impression que le dictateur ou le fasciste c’est toujours les autres. Souvent elles laissent de côté les monarchies qui semble les fasciner outre mesure, ou les théocraties qu’elles ne veulent pas remettre en question, puisque le pouvoir détenu par les théocrates émanerait d’un Être absolu auquel elles croient.

Elles disent souvent que près de trois quarts des pays du monde sont gouvernés par des dictateurs et la démocratie n’est jamais un acquis dans l’autre quart; qu’elle est, au contraire une lutte quotidienne, une démarche sans cesse renouvelée, un réajustement sans fin. Et si la justice est une corollaire de la démocratie, elle, non plus, n’est pas un acquis.

Mon merveilleux monde est bien fragile aux yeux des grandes personnes. Je comprends un peu mieux pourquoi Peter Pan n’a pas voulu grandir. Le monde des adultes est illogique, instable, quand il n’est pas carrément hideux, violent et désappointant.

Joseph Bathélemy