Élections 2010: Volte-face et reniement

Le dimanche 28 novembre, jour des élections présidentielles et législatives, alors que les centres de votes n’étaient même pas fermés, 12 des candidats à la présidence se sont réunis à l’Hôtel Karib pour dénoncer publiquement ce qu’ils appellent des « fraudes massives » en faveur du candidat du parti au pouvoir, Mr. Jude Célestin. A travers une déclaration commune lue par une de leurs pairs, Dr. Josette Bijoux, ces candidats ont demandé aux instances électorales d’annuler purement et simplement le vote de ce jour.

Moins de 24 heurs plus tard, coup de théâtre! Deux de ceux présents lors de la lecture, le chanteur Michel Martelly et l’ancienne première dame, Mirlande Manigat, ont non seulement mis une sourdine à la demande d’annulation des votes, mais décidèrent de se rallier à nouveau au processus électoral.

Michel Martelly et Mme Mirlande Manigat
Lors du point de presse à l’Hôtel Karibe
Dimanche 28 novembre 2010
©Photo Reuters

Les membres du CEP, dans leur vile arrogance, lors des nombreuses interventions de la veille, avaient donc vu juste quand le directeur général de cet organisme, Pierre-Louis Opont, questionnant l’esprit de solidarité de ces candidats, déclara en créole qu’on avait qu’à attendre pour voir si tous ces candidats continueraient dans leur réclamation si les premiers résultats font de l’un d’eux un favori.

Il semble que les premiers décomptes feraient de Martelly et de Manigat des favoris et qu’un deuxième tour qui pourrait éventuellement avoir lieu le 16 janvier, départagerait finalement les votes.

Tachons de faire peu de cas de la gifle infligée aux dix autres candidats qui, le lundi 29 novembre, ont réitéré leur demande de façon formelle. Considérons plutôt la raison de la volte-face et les répercussions sur un gouvernement dirigée par l’un d’eux.

D’après un article publié sur le site Web du quotidien haïtien Le Nouvelliste, le « changement radical » dans l’attitude de ces candidats serait le fruit d’une ballade diplomatique des agents étrangers et des représentants des organismes internationaux qui ont financé les élections(1). Ces candidats auraient donc reçu une certaine garantie d’où le reniement de leur mots, un reniement qui les aurait converti en parias s’ils vivaient dans une société primant les grandes valeurs morales et travaillant sérieusement à l’établissement d’une vraie démocratie.

Dans de telles sociétés, les aspirants aux hautes fonctions publiques devraient être en mesure de montrer une éthique proportionnelle ou supérieure aux compétences requises par la position recherchée, car on accepterait difficilement que quelqu’un, ayant de telles vélléités, fût responsable, par sa légèreté, de la discontinuité du dialogue social; ce dialogue impliquant la recherche du bien commun à travers une grande ouverture d’esprit, le respect des autres, mais aussi et surtout un grand sens de l’honneur manifestée à travers une honnêteté à toute épreuve. La volte-face de ces deux candidats nous montre clairement qu’Haïti a encore un long chemin à parcourir pour pouvoir faire l’expérience de ce genre de société.

Imaginons un peu l’un de ces candidats à la tête de l’État, le 7 février 2010, quelle garantie aurons-nous qu’il ou elle tiendra parole en « observant fidèlement la constitution »(2), quand les promesses d’hier se révèlent un stock de formules et n’engagent en rien.

Qu’en sera-t-il de la crédibilité du pays déjà gravement érodée à l’extérieur? Les puissances trouveront certes une façon pour nous faire tenir nos promesses (carrot or stick), mais qu’en sera-t-il des autres amis qui ne peuvent nous faire chanter?

Qu’en sera-t-il du peuple totalement dépourvu, qui chantait la Dessalinienne à l’Hôtel Karibe, et dont la seule arme légale est le bulletin de vote?

La parole donnée et respectée jusqu’au bout est le reflet d’une grande personnalité.

J.A.

  1. Duval, Frantz, « Comme du beurre au soleil » Le Nouvelliste. Publié le 20 novembre 2010 [http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=86182]. Lu le 1er décembre 2010
  2. Constitution de 1987, art. 153.1.