RÉSOLUTION visant à la reconnaissance, au remboursement et à la réparation par la France de la « double dette » d’Haïti

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Pendant ces trois dernières années, la question de la dette de l’Indépendance, conséquence d’une extorsion de Charles X en 1825, et de son remboursement revint dans l’actualité. Cette dette, initialement évaluée à 150 millions de franc or(1), et réduite treize ans plus tard à 60 millions, plongea Haiti dans une spirale de misère. Pour s’en acquitter, le pays dût s’endetter au-delà de ses capacités, souvent à des taux d’intérêt exorbitants.

Le document suivant est un texte approuvé par l’Assemblée nationale française qui invita l’Exécutif de ce pays à reconnaitre cette injustice et à mettre sur pied une commission indépendante en vue d’une démarche réparatrice.

Il faut bien ici se rappeler que deux décades avant ce vote, le président haïtien d’alors, Jean-Bertrand Aristide avait eu le courage, pour certains l’incroyable audace, de demander réparation et remboursement de cette honteuse dette, acquittée finalement au milieu du XXe siècle. On rapporte que son départ pour l’exil à la suite d’un coup de force franco-américaine serait la conséquence de cette demande qui avait hérissé le gouvernement français d’alors.

Il a fallu une enquête du grand quotidien américain, Le New York Times(2), pour que le monde reprenne conscience de cette historique injustice. D’autres quotidiens dont plusieurs en France, relayèrent l’enquete. Les intellectuels haïtiens dont le Rectorat de l’Université d’État(3) d’Haiti qui avaient critiqué le président Aristide en 2023, et ridiculisé sa demande comme étant un coup d’épée dans l’eau, s’érigèrent alors en patriotes pour promouvoir l’idée du remboursement…

Pour l’histoire, nous publions le texte déposé le 9 avril 2025 à l’Assemblée nationale de France, et approuvé le 5 juin 2025.

L’Assemblée nationale a adopté la résolution dont la teneur suit:

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’ordonnance royale du 17 avril 1825,

Vu la loi n° 2001‑434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité,

Vu la résolution 60/147 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 2005 sur les principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à une réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire,

Vu le rapport A/76/180 du 22 juillet 2021 du rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non‑répétition présenté en application de la résolution 45/10 du Conseil des droits de l’homme,

Vu le « plan en dix points de la CARICOM pour une réconciliation et une justice réparatrice » de 2014 des quinze pays membres de la Communauté caribéenne, ou Communauté des Caraïbes, adressé aux pays européens ayant pratiqué l’esclavage et la traite négrière,

Vu la déclaration du Secrétaire général des Nations unies António Guterres du 25 mars 2025 à l’occasion de la journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves : « Reconnaître le passé. Réparer le présent. Construire un avenir de dignité et de justice »,

Considérant que la portée historique de l’ordonnance royale du 17 avril 1825 sur les rapports internationaux issus des décolonisations mérite de faire l’objet d’une analyse pluridisciplinaire approfondie ;

Considérant que Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain et que les inégalités de revenus sont parmi les plus fortes au monde ;

Considérant l’instabilité politique marquée par l’exacerbation des crises successives qui ont débouché sur l’impossibilité pour l’État haïtien de fonctionner ;

Considérant que la situation haïtienne ne peut plus être considérée sous le seul angle de l’urgence humanitaire, parfois teinté de misérabilisme, et que la solidarité internationale ne saurait faire figure de réparation ;

  1. Invite le Gouvernement à reconnaître officiellement et solennellement l’injustice infligée à Haïti par l’ordonnance royale du 17 avril 1825 ;
  2. Invite le Gouvernement à considérer ses conséquences et ses prolongements à long terme sur l’ensemble de la société haïtienne ;
  3. Invite le Gouvernement à une prise en considération des demandes de remboursement et à étudier le processus de restitution de la « double dette » imposée à Haïti qui a été honorée dans son intégralité ;
  4. Appelle à cet effet à la mise en place d’une commission indépendante ;
  5. Appelle à initier et à soutenir les initiatives s’inscrivant dans une démarche de justice réparatrice, particulièrement les initiatives franco‑haïtiennes à portée mémorielle, pour transmettre aux générations actuelles et futures cette page sombre de notre histoire.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 5 juin 2025.

La Présidente,

Signé : Yaël BRAUN-PIVET

Assemblée nationale , France. 17e législature. Résolution, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la reconnaissance, au remboursement et à la réparation par la France de la « double dette » d’Haïti T.A. n° 137. Paris, France, 5 juin 2025.
  1. Haiti-Reference. Ordonnance royale de Charles X (1825). 19 décembre 2004.
  2. Gamio, lazaro, et autres. “La Rançon  Les Milliards Envolés” – New York Times, 20 May 2022.
  3. Rectorat de l’Université d’État d’Haiti. Groupe de travail de l’UEH sur la restitution de la « Dette de l’Indépendance » et des rançons versées aux XIXe et XXe siècles – Haiti-Référence. 14 mai 2024.